Extraits

Tes mains

Au Nord je prenais te mains tes mains gants retirés sont deux petites lampes et mes épaules deux vieilles bâtisses qui auront tant accueilli même accueilli le soir tes mains posées sur elles les

éclairent ainsi naissaient les matins après l’adieu dans la lumière de l’aube soulevant mon bol de gruau je me souviens que par-delà monts et rivières au nord il y a deux lampes je ne puis les caresser que de loin

                          1985

Huang Xiang Chant à une voix

Qui suis - je ?

Je suis l'âme solitaire en cascade

Un poème

Du perpétuel

Ecart

Mes errances et les sonorités de mes chants

Sont les traces flottantes du rêve

Le seul qui m'écoute

Est le profond silence.

L'épiphyllum

En cet instant je suis aveugle j'écoute mon épouse et ma fille décrire la délicate éclosion d'un épiphyllum je fouille la mémoire de mon ouïe où est noté le son des pétales qui s'ouvrent j'y retrouve aussi le son de la mort des étoiles le son du trépas de l'arc-en-ciel

(la fleur comme toujours s'est soudain flétrie...) et moi comme toujours j'entends maintes et maintes fois la lune se lever la lune se coucher et puis je m'adresse tourne très lentement mes yeux aveugles pour surprendre le faune qui vient en secret se nourrir de fleurs mon épouse et ma fille et l'épiphyllum n'en savent rien

1982

Village aborigène

Ma femme est un arbre, moi aussi;

mais ma femme est un bon métier à tisser, sa navette-écureuil tisse des nuages arachnéens, ces nuages, là-haut, sont ceux qu'elle aime tisser et moi, j'espère bien que mon unique tâche sera de faire sonner dans ma poitrine la cloche d'une école puisque j'ai atteint l'âge...

où les piverts se posent sur mon bras

1962

En ramassant des coquillages

Chaque matin tu ramasses des coquillages là-bas, sur la plage à marée basse et je te suis, pour ramasser l'empreinte délicate de tes pas chaque soir tu reviens de là-bas, de la plage à l'étale de la marée nocturne et dans la brume gorgée de pluie je te vois tourner vers moi l'esquisse d'un regard en cet instant notre rencontre est proche rencontre, collision silencieuse de deux nuages indifférents à leur bonheur...

1959

Lettre d'outre-mont

Pourquoi se souciez de moi je suis sur une montagne...

les nuages venus de la mer disent le silence trop immense de la mer je viens moi aussi de la mer la montagne est une vague figée

(on ne croit plus aux nouvelles de la mer) le désir du retour ne s'enfle plus en moi

1952

Ecrire pour l'autre

J'écris sur sa paume des caractères compliqués et lorsque j'ai capté son attention j'en écrit d'erronés puis les efface et les retrace trait par trait esquisses caressantes qui l'attirent sur un canot-pictogramme que je dégonfle pour nous précipiter dans le lac je dis je t'aime sans racines et sans nid je t'aime je t'aime je ralentis

à la lenteur la plus lente jusqu'à

entendre au-dessus de nos corps le bruit des engrenages huilés un cylindre lumineux quelqu'un n'a inventé le cinéma que pour obscurcir une salle où nous puissions apprendre

à faire l'amour en gestes lents dans la lenteur je t'aime len-te-ment particules décomposées grossies je t'aime nous tournons sans fin hachés menu ô je t'aime je t'aime nous sommes devenus étrangers à nous-mêmes afin que des gens s'imaginent qu'ils ont lu en nous

1999

Le septième jour de deuil

Presque à bon port.

Lorsque, par une habitude vieille d'un demi-siècle, elle se pencha sur le ruisseau où jeune fille elle avait lavé le linge, elle s'aperçut que ses mains ne pouvaient plus recueillir une seule goutte de cette pure fraîcheur et que l'eau lisse comme un miroir ne reflétait plus sa frêle image. Elle se souvint alors que ses fils et ses brus étaient chrétiens, que personne ne chantait des soutras pour elle, qu'elle n'avait même pas de tablette funéraire.

Une pétale de fleur de pêcher glissa du croissant de lune et la grand-mère faillit pleurer tout haut. Elle avait presque oublié qu'elle avait marché sur les vagues des roseaux, marché sur les vagues des fleurs de jonc, marché sur les vagues du détroit de Taiwan, marché sur les vagues du lac Dongting pour se retrouver chez elle.

1987