Le coeur à contresens : histoire d'une emprise amoureuse

Je suis complètement séduite par cette BD. Vraiment, j'ai adoré. J'ai trouvé ça réaliste, moderne, pertinent. J'y ai trouvé une profondeur d'émotion et d'analyse remarquable, mais tout en restant tout simplement distrayant et plaisant à lire.

L'histoire débute au printemps 2021, c'est pas si loin, mais mon cerveau avait éludé toutes les restrictions en lien avec la Covid-19 qui étaient encore en place. Une période assez folle quand on y repense. Rien que sur ce point, qui aurait pu être un détail, la BD sait vraiment mettre le doigt sur la bonne anecdote, qui déverrouille nos propres souvenirs. Et de cette même manière, toute la BD s'ancrera dans un univers a la fois très réaliste et très contemporain, dans la façon de vivre et de parler des personnages. Cette histoire aurait totalement pu être la mienne ou celle d'une amie.

Dans ce contexte, Selma s'essaye a une application de rencontre et matche très vite avec Erwan. Malgré la distance, tout va très vite (trop vite ?), l’idéalisation, une certaine "addiction" à l'autre, mais aussi, déjà, la peur de l'abandon en creux. Puis ces jeux de séduction bien étranges, auxquels on s'est tous prêté un jour, pour se montrer sous un jour flatteur ; sur lesquels on porte un regard piquant, mais tout en subtilité. On le dit sans le dire. A la façon de cette photo de la vue magnifique qu'Erwan a de sa fenêtre... Qu'on n'atteint que sur la pointe des pieds, debout sur un tabouret.

De cette même façon, petit à petit, par des gestes pouvant paraître anodins sur le coup, on fait évoluer cette idylle de surface vers quelque chose qui nous met de plus en plus mal à l'aise ; et qui met mal à l'aise Selma, qui ne s'épanouit plus dans cette relation. N'attendez pas du spectaculaire, il n'y en aura pas, et c'est justement ça qui est si troublant. On n'a pas poussé le curseur vers une violence conjugale physique, qui (fort heureusement) ne touchera qu'une petite minorité de personnes. On reste sur des mécanismes de jalousie, de contrôle, d'isolement, de manipulation, de culpabilisation, de chaud/froid,... qu'on a tous connu à un certain degré, comme victime ou comme auteur, et qui sont déjà toxiques. Qui doivent déjà nous interpeller, en questionnant nos relations et/ou nos propres comportements.

Je m'arrête là pour l'analyse de l'intrigue, pour quand même vous laisser le plaisir de la découverte. D'autant plus présent pour ma part que l'univers visuel m'a beaucoup plu aussi. La colorimétrie est magnifique, arrivant tout particulièrement à faire ressortir ces belles luminosités de fin de journée (aka la golden hour) ou du sud de la France. Si les fonds sont parfois un peu vides (malgré tout de même quelques beaux paysages), le travail sur les corps des personnages est lui particulièrement poussé, et me semble bien correspondre à l'histoire qu'on raconte.