A Couper le Souffle

Jenny Chu préparait le dîner tout en regardant les informations. Pendant l'enfance de Jenny, sa mère détestait non seulement les informations, qu'elle trouvait déprimantes, mais également de faire plusieurs choses en même temps, car elle pensait que c'était malsain. C'est pourquoi, maintenant qu'elle était adulte, Jenny prenait un plaisir légèrement pervers à se consacrer à ces deux choses à la fois.

Toutefois, pendant qu'elle attendait que son repas surgelé cuise aux micro-ondes, Jenny se disait que "préparer le dîner" était sans doute une expression quelque peu exagérée. Elle n'avait pas réellement "préparé" de dîner depuis des années. Non seulement elle était trop occupée pour s'occuper de cela la plupart du temps, mais aussi elle n'aimait simplement pas faire la cuisine. Toutes ces tâches et ce désordre pour quoi ? Pour un résultat qui n'était jamais aussi bon que les repas à emporter.

"On pourrait penser que la première physiothérapeute de New York aurait des standards plus élevés en ce qui concerne sa manière de s'alimenter", fit remarquer un jour Sara, la meilleure amie de Jenny. "Je veux dire, on est ce qu'on mange, après tout."

Jenny avait roulé des yeux. "Ce n'est pas comme si je mangeais des hamburgers au dîner tous les soirs. Je commande des salades et ces plats surgelés « healthy ». Ils sont trois fois plus chers. Parfois il y a même du riz brun avec. Ça signifie qu'ils sont réellement sains."

Cela n'avait pas impressionné Sara. "Ce n'est pas parce que ce que tu manges devant ta télé est estampillé « bon pour la santé » sur l'emballage que ça signifie que c'est bon pour autant. Mon Dieu, McDonalds pourrait apposer des labels « choix santé » sur leurs nuggets de poulet et ils n'auraient pas tort – en théorie, les nuggets sont toujours plus sains qu'un Big Mac !"

"Est-ce que j'ai l'air d'être mal nourrie ?" avait demandé Jenny en étendant largement ses bras. "De plus, Julie m'apporte un smoothie vert tous les matins en arrivant au travail. Ces trucs sont bourrés de vitamines, d'antioxidants, de minéraux et de toutes ces choses saines à la mode qu'on trouve maintenant."

C'était au tour de Sara de rouler des yeux. "Tu es vraiment impossible" dit-elle.

"Bah" avait répondu Jenny. "Je suis juste pragmatique !"

Ce soir-là, les présentateurs télé parlaient de la récente rupture entre l'une des coqueluches de New York, la star du basket Tom Petrovich et sa fiancée, la top model Kate Kuzak. Jenny avait entendu que Petrovich avait été blessé quelques semaines auparavant, lors d'un match contre Detroit. Son genou avait pris un sérieux coup et les docteurs avaient annoncé que c'était improbable qu'il puisse recommencer à jouer un jour – même si, personnellement, Jenny avait des doutes sur cela. C'était incroyable ce qu'un physiothérapeute doué pouvait accomplir. Selon les présentateurs, la rumeur courait que Kuzak s'était déjà consolée dans les bras d'un joueur rival de Pittsburgh.

"Ce n'était pas l'union idyllique qu'on croyait !" dit le présentateur masculin à sa collègue féminine. "Il semblerait que Kate en avait juste après la fortune et la gloire."

"On ne peut s'empêcher d'être désolé pour Petrovich, cependant", dit la femme. "D'abord sa carrière, maintenant sa fiancée ? Il traverse une passe difficile ce mois-ci."

"Et cela s'annonce de pire en pire à partir de maintenant. Je veux dire, que faire une fois qu'on a cessé d'être Tom Petrovich, le golden boy de New York ? Ce type était tout au sommet. À présent il peut juste redescendre."

La femme acquiesça. "Je crains que vous n'ayez raison, Chuck", dit-elle. "Mais à présent, d'autres nouvelles. Des jumeaux sud-coréens, séparés à la naissance, se sont retrouvés grâce à Facebook. Sortez tous vos mouchoirs, nous avons là toute l'histoire pour vous et, croyez-moi, cela va vous aller droit au cœur."

Le micro-ondes sonna et Jenny se leva pour aller chercher son repas. Elle se sentait mal pour Petrovich. Les présentateurs avaient raison : c'était vraiment un sale mois. Puis elle haussa les épaules. Elle était sûre que les millions qu'il avait à la banque l'aideraient à passer au-delà. Mais elle avait vu des photos de la star et elle devait admettre que, même sans sa célèbre carrière, elle serait quant à elle restée avec lui. Il était absolument magnifique. Mais là encore, Kate Kuzak était un top model. Jenny était sûre que celle-ci n'aurait pas de mal pour se trouver un nouveau beau fiancé en remplacement.

Jenny se servit un verre de vin blanc, attrapa une fourchette dans le tiroir et prit son poulet au parmesan avant de revenir s'installer sur le canapé, prête à écouter l'histoire de la retrouvaille des jumeaux.