Extraits

— Venez dans l'eau avec moi, Aurore, proposa-t-il soudain en lui prenant la main.

— Impossible, dit-elle en secouant la tête.

— Pourquoi ? Vous vous inquiétez pour votre robe ?

— En partie, oui.

Elle essayait de garder son calme.

— Qu'à cela ne tienne, enlevez-la !

— Certainement pas, répondit-elle, choquée.

— Vais-je devoir l'enlever moi-même ?

Instinctivement, Aurore croisa les bras sur sa poitrine comme pour se protéger.

— Allons, venez dans l'eau, ma chérie.

— Je ne sais pas nager. Souhaitez-vous que je me noie?

— Comment pouvez-vous imaginer une chose pareille ? Venez, Aurore. Il y a tant de merveilles à découvrir sous l'eau. N'ayez pas peur, je vous tiendrai.

Il l'aida à se relever.

— Richard, ce ne serait pas convenable pour une jeune femme de se baigner ainsi en public, tenta-t-elle d'expliquer.

— Nous sommes seuls ici, petite fille. Que craignez-vous donc ?

Elle esquissa un sourire : il n'y avait en effet personne pour les juger ou les surveiller. Richard la tira jusqu'au bord de l'eau. Mais elle refusait catégoriquement d'abîmer une robe aussi coûteuse. Fatigué par ses protestations, il la souleva dans ses bras et avança à grandes enjambées dans la mer.

— Vous êtes fou, criait-elle, s'agrippant à son cou.

— Taisez-vous et admirez, ordonna-t-il gentiment. Regardez sous l'eau, ma douce.

Baissant la tête, Aurore aperçut à travers cette eau d'une limpidité extraordinaire des bancs de poissons aux couleurs féeriques. Certains se faufilaient entre les jambes de Richard. Elle n'avait jamais vu pareil spectacle.

— Ils sont merveilleux.

Rassurée, Aurore toucha l'eau du bout des doigts, et un poisson frôla sa main. Surprise, elle la retira vivement et chercha un réconfort dans les yeux de Richard. Mais elle ne s'attendait pas qu'il la regarde aussi intensément.

— Cessez de me regarder comme ça, Aurore, implora-t-il d'une voix basse et enrouée.

— Je suis désolée, mais je ne peux pas.

— Mais pourquoi ?

— Parce que... je... je suis en train de perdre l'homme que j'aime...

— Quelle magnifique journée, n'est-ce pas? Quelle chance vous avez de posséder cette île ! dit-elle en appuyant son corsage sur le bord de la table.

Elle sentit ses yeux verts et lumineux se poser sur sa poitrine. Elle faisait des efforts surnaturels pour ne pas s'enfuir immédiatement dans la chambre, mais son désir de vengeance lui donnait du courage.

Elle jeta un coup d'œil sur sa serviette et sembla découvrir la banane pour la première fois, simulant un air ravi. Elle joua avec le fruit, le caressant de ses doigts fins, pour le peler finalement avec habileté et précaution.

Richard était sidéré. Il ne savait trop quelle attitude avoir face à ce revirement de situation.

— Vous paraissez particulièrement bien disposée ce matin, Miss Dayne, se contenta-t-il de constater.

— Et pourquoi ne le serais-je pas ? répondit-elle en dépliant sa serviette sur les genoux.

— En effet, vous avez toutes les raisons d'être heureuse.

— Je suis affamée, lança-t-elle en reprenant la banane. Et vous?

— Quoi, moi ? demanda-t-il bêtement.

— N'avez-vous pas faim ?

Aurore termina de peler le fruit. Il ne devinait pas qu'elle prenait vraiment sur elle pour garder son calme. Elle passa sa langue sur ses lèvres et se prépara à croquer dans le fruit. Richard frôlait l'extase.

Alors elle extirpa d'une des poches de sa robe la paire de petits ciseaux à broder qu'elle avait camouflée dans ses affaires et, sous les yeux terrifiés du pirate, coupa la banane en deux.

Elle ferma les yeux, ne parvenant pas à se résigner, à accepter cette version. Elle se souvenait tout à coup d'un poème que lui récitait régulièrement Mme Bluefield, lorsqu'elle l'interrogeait sur ses parents.

Oh ! Rassure-toi, mon enfant,

Ton père était un preux chevalier,

Ta mère, une grande dame

Et tous deux s'aimaient et étincelaient.