Extraits

Réussir, c'est devenir soi-même en devenant quelqu'un. Être soi-même ; être quelqu'un : injonctions banales et pourtant mystérieuses qui devraient se situer sur les registres apparemment séparés, voire opposés, de l'identité personnelle et de la visibilité sociale, de la sphère privée et de la sphère publique : comment sait-on qu'on est soi-même ? A quoi reconnaît-on qu'on est quelqu'un ? Ces deux questions entrent aujourd'hui dans un rapport inédit qui assimile dans une même rhétorique la conquête de son identité personnelle à celle de la réussite publique, la quête de l'authenticité et celle de la visibilité. Double dynamique d'extériorisation de l'intime – ce serait sa « publicisation » - et d'incorporation du social – ce serait sa « privatisation » - qui forme la trame de l'ambition contemporaine.

Dans ce contexte, la micro-informatique est moins l'un des axes du progrès technologique que la pointe du progrès psychologique : elle installe l'usager dans une situation où il est poussé à se réaliser en s'exprimant. L'objet n'est ici ni un gavage ni un standing, mais le moyen de travailler son propre potentiel de développement personnel. Dans les débats sur la consommation, l'interrogation sur le progrès était centrale. Désormais, la question du changement, c'est-à-dire la capacité d'adaptation en souplesse des individus, focalise l'attention et le bien-être s'exprime dans la possibilité de multiplier ses propres circuits de connexion. C'est pourquoi l'image et le statut de l’abondance résident dans la communication qui n'est autre que l'abondance de relations. Car qu'est-ce que communiquer, sinon consommer de la relation ? Sinon lier et relier indéfiniment êtres, choses et signes ?