Le dé d'Einstein et le chat de Schrödinger

Le dé d'Einstein et le chat de Schrödinger

Une démarche intéressante et instructive ****

Paul Halpern, professeur de physique à l’université de Philadelphie, nous offre ici un ouvrage très instructif sur les destins croisés d’Albert Einstein et Erwin Schrödinger. Je pense qu’il faut considérer ce livre en tant que biographie de deux personnalités emblématiques de la physique moderne. Il ne s’agit pas d’un livre scientifique expliquant en détail la relativité générale ou la mécanique quantique. Cependant, tout au long de la chronologie établie, le physicien vulgarise toutes les théories évoquées dans le livre en choisissant des exemples imagés ou en simplifiant au maximum les termes mathématiques utilisés. Le récit est accessible, toutefois les notions abordées sont très complexes et pour une bonne compréhension de tout ce qui concerne « les passages scientifiques », des connaissances en la matière sont requises. Sans quoi, le lecteur ne bénéficie pas de toute la richesse de l’oeuvre… ce qui est vraiment dommage.

La ligne conductrice du livre est la suivante :  Einstein et Schrödinger cherchent une « théorie du tout » et ne sont pas satisfaits du monde quantique. Le premier l'affirme avec son dé, Dieu ne faisant pas les choses au hasard, et le second l’illustre avec le chat du nom éponyme, à moitié mort et vivant dans sa cage. Cette quête d’unification est relatée à travers la vie personnelle des deux scientifiques. Einstein, les cheveux en pétard, n’aime pas s’habiller, est pour la paix internationale et se dévoue à sa science laissant de côté sa famille. Schrödinger qui aime les femmes et apprécie la sécurité financière.

L’auteur dépeint la vie des deux scientifiques dans un contexte historique marqué par les deux guerres et par l’influence médiatique. Paul Halpern souligne l’influence du contexte historique sur l’avancée scientifique. Il insiste également sur les lectures philosophiques d’ Einstein et de Schrödinger (respectivement Schopenhauer et Spinoza). Ces lectures ont façonné leur manière de voir le monde et les ont guidés dans la direction qu’allaient prendre leurs travaux. Ainsi Einstein rejette le monde quantique car « Dieu ne joue pas aux dés » à l’image de la philosophie stricte de Spinoza. J’ai particulièrement apprécié ce dernier point par lequel on prend conscience que philosophie et sciences sont étroitement liées : dans toute science, les hypothèses que l’on choisit, les limites que l’on impose sont guidées par nos croyances (dans toute recherche scientifique liée à la question de l’origine notamment).

Pour en revenir au livre, je trouve la démarche de l’auteur très recherchée, il ne se contente pas de dresser la vie des deux figures de la physique mais il montre subtilement que leur science est également gouvernée par le contexte extérieur : la guerre qui ne permet pas la collaboration internationale et ralentit la recherche, la montée du nazisme qui pousse les Juifs et les non partisans de l’Anschluss à s’exiler, la pression de la direction qui encourage la compétition malsaine et la précipitation de publication de résultats qui font croire, à tort, que la science évolue tous les quarts d’heure ou encore la presse qui déforme les propos des uns et des autres… Ainsi l’auteur montre à quoi ont été confrontés les deux hommes dans leur quête de théorie unificatrice. 

Nous comprenons bien que les deux scientifiques prônent une physique déterministe plutôt que stochastique et que la science est une discipline exigence qui demande un investissement énorme, beaucoup de rigueur et de patience.

Pour conclure, j'ai envie de dire qu'il s’agit d’une très bonne biographie mais les notions scientifiques abordées par l’auteur (outils mathématiques évoqués : tenseurs, lagrangiens, hamiltoniens…et la physique d’un bon niveau : statistique de Bose-Einstein et de Fermi-Dirac, relativité restreinte et générale, physique quantique…) sont complexes et un lecteur non averti ne bénéficiera pas de toute la richesse de l’ouvrage.

Les lecteurs scientifiques voudront plus de détails et les lecteurs non avertis demanderont plus de vulgarisation… Le juste milieu est difficile à trouver pour un auteur qui veut contenter tout le monde mais le pari est quand même réussi.