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« C'est la dignité avec laquelle nous honorons nos morts qui sépare les hommes de ce que nous fûmes avant d'être des hommes. L'homme ne laisse pas ses défunts pourrir; il les brûle, les inhume, érige un tombeau pour protéger leur corps et leur mémoire. Là est la civilisation: dans la pierre angulaire d'une tombe.»

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J'hésitai entre acquiescer ou non. Cette ville était une fosse à purin, c'était évident. Soudain, une bande de gosses passa, courant après un cerceau lumineux dans une ruelle transversale, baissant la tête pour passer sous un petit cargo. Au-dessus, sous les alignements de vêtements en train de goutter et de sécher, des jardinières hydroponiques accueillaient de nouvelles pousses vertes ou presque noires, ainsi que quelques fleurs. L'humanité essayait, comme à son habitude, de transformer le désert en jardin. Néanmoins, j'étais heureux de ne pas vivre là.

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— Vous auriez pu me laisser entre les mains des méditechs.

— Le commodore Lin m’aurait écorchée, répondit-elle en reniflant. Vous autres impériaux écorchez les gens pour de vrai.

— C’est exact, mais vous n’avez rien à craindre de nous.

Le silence s’installa. La femme s’affairait sur un terminal de diagnostic, tandis que je faisais semblant de n’être pas nu.

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— Quelle est la date standard ?

— 16 219,11, répondit-elle sans me regarder.

— Novembre…

De l’année 16 219 de l’Empire. Quarante-huit années depuis Emesh. Je n’en avais vécu que douze, cependant. Quarante-huit ans à faire semblant d’être mercenaire. Quarante-huit ans depuis que je m’étais libéré du comte Mataro et de l’avenir qu’il avait prévu pour sa fille et moi. Quarante-huit ans en tant que conscrit spécial dans les Légions du Soleil.

Quarante-huit années de guerre, d’une croisade génocidaire contre les Cielcins, les xénobites qui s’abreuvaient de mondes humains et se repaissaient des gens comme les loups de moutons. Quarante-huit années à chercher Vorgossos en transportant des prisonniers cielcins dans l’espoir d’initier des pourparlers de paix.

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Switch appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur avec le pouce, et nous attendîmes en silence durant quelques secondes. Pendant ma fugue, il avait eu le temps de vieillir un peu. Des pattes d’oie encadraient son regard glauque, tandis que des mèches couleur paille et argent zébraient sa tignasse rousse. Le visage que j’avais découvert dans mon miroir n’avait pas du tout changé depuis Emesh, alors que celui de Switch était légèrement plus parcheminé. Il est vrai que j’étais né dans un château, que j’avais été conçu sur commande, que mes gènes avaient été choisis avec une précision chirurgicale, que j’étais plus qu’humain.

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Le Pharaon était un véritable vaisseau amiral uhran. Trois kilomètres de long, un profil en lame de couteau, plus large que haut, le nez pointu, avec une passerelle située à l’arrière, au sommet d’une spire pareille à un aileron haut de deux cent cinquante mètres. Les quartiers de Bassander se trouvaient dans cette spire, près du sommet. La cabine plongea, s’engagea dans un conduit horizontal, parcourant une centaine de mètres vers l’arrière, avant de reprendre sa descente. Au niveau de la poupe, le Pharaon s’élargissait pour accueillir ses moteurs – inclus dans l’anneau de son réacteur à distorsion –, ainsi que les docks de ses diverses navettes et de deux bonnes douzaines d’Éperviers légers, que l’on déployait en cas de bataille spatiale.

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— Peut-être que Lin a raison. Nous traînons trop.

— Tu n’aurais rien pu faire.

— C’est vrai, mais nous pourrions empêcher que cela recommence.

Un mensonge. Nous le savions tous les deux. À l’heure même où nous parlions, dans le bras de la Règle, les Cielcins brûlaient un autre monde.

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Dans ces sépulcres froids dormaient les Cielcins, suspendus entre deux battements de cœur, tels des monstres attendant que la lune se lève de nouveau pour ressusciter et aller boire le sang des hommes. Les seuls survivants du navire qui s’était écrasé sur Emesh. Ils étaient onze. Je croisai les bras pour me réchauffer et longeai la rangée de conteneurs, m’enfonçant dans le cubiculum, expirant des nuages de vapeur. J’avais écrit leurs noms : Etanitari, Oanatoro, Svatarom, Tanaran. Je m’arrêtai devant la crèche de ce dernier, le bout de mes doigts laissant des empreintes fondues sur le couvercle. Il était leur leader. Un genre de prêtre, d’après ce que j’avais compris. Voire un noble. Il avait accepté ma proposition, approuvé mon plan.

— Nous y sommes presque, murmurai-je en m’imaginant qu’il m’entendait.

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