Extraits

Sur l’écran, la face carrée du chef de Victoria s’effaça, remplacée par le visage d’une journaliste connue dont l’épiderme, ainsi que le voulait la mode de l’année, était strié horizontalement de milliers de fines lignes blanches, noires, et de tous les tons du gris. Sa peau, sur toutes ses parties visibles, en acquérait un grain de gravure ancienne. Les parties visibles descendaient jusqu’à sa taille et le maquillage, épousant ses seins nus, leur donnait un surprenant relief, un relief d’obus aux ogives vertigineusement ciselées par la plastochirurgie. Après deux décennies presque victoriennes auxquelles le retour en force d’une religiosité contraignante n’était pas étrangère, la décisive victoire sur le sida de la fin des années 2020 avait provoqué, pour ce qui concernait la mode et les mœurs, un retour for­cené à des folies sexuées autant que sexuelles qu’on n’avait pas connues depuis bien longtemps. L’apparence de Sonya Breccia n’en était qu’un épiphénomène.

« Vous pouvez observer en ce moment les quatre explorateurs interstellaires, qui s’apprêtent à s’enfermer dans leurs coquilles respectives, disait la journaliste retouchée au tire-ligne jusqu’au sommet de son occiput poncé. Euh… on dit bien une coquille, n’est-ce pas ? » ajouta-t-elle avec un canaille rire de gorge en se tournant vers un personnage encore invisible à l’écran.

La porte se referma avec un claquement sec et définitif. Patrick Bensousan, qui avait franchi le sas le dernier, se retourna pour tâter du plat de la main la surface lisse du métal.

— Cette fois, ça y est…, dit-il sans enthousiasme excessif.

Ses trois compagnons se retournèrent vers lui ; sous leur scaphandre boudiné, leur silhouette se perdait, et ce n’était plus qu’un groupe de bidendum qui faisait face à Patrick, au « commandant » Patrick ! Carol fut la première à parler ; sa voix incisive était un peu voilée, non par l’émotion, songea Patrick, mais simplement par l’épaisseur de métal, de verre ou de synthéton qui murait sa bouche.

— Le dieu de Lumière veille sur les hommes, dit sentencieusement Torar. Sa bouche de Lumière détruit les volailles…

Patrick ne put tirer rien de plus de leur guide. Cela n’avait aucune importance, puisque le soir même, ils verraient à l’œuvre le fameux dieu…

Parvenir à se propulser à une vitesse supérieure à celle de la lumière avait été un vieux rêve d’une humanité qui était sensément rentrée dans l’âge de l’espace depuis cette fameuse nuit de juillet 1969 où un homme avait, pour la première fois, foulé le sol lunaire. Un vieux rêve…, que les barrières sévères de la théorie d’Einstein reléguaient au rang du mythe.

D’ailleurs, ce fameux âge de l’espace n’avait, au niveau des quatre milliards d’humains qui se partageaient la Terre du troisième quart du vingtième siècle, débouché sur rien d’autre que la Troisième Guerre mondiale, qui avait retranché du nombre des vivants environ cinq cents millions de personnes, au cours des deux mois rouges de 1981. Après avoir construit, détruit massivement, les hommes des deux dernières décades du siècle avaient autre chose à faire qu’à s’occuper des étoiles : il leur fallait, d’abord, reconstruire. On avait commencé d’occuper la Lune, Mars possédait une minuscule base permanente dont Vénus, trop bouillante, ne permit pas l’installation, et deux des satellites de Jupiter avaient reçu une visite qui n’avait pas excédé quarante-huit heures… À cela se bornait une conquête, certes pacifique, mais dont la Terre des années 80, ayant autre chose à faire, et de plus urgent, se détourna.

Jusqu’au moment où l’équipe du professeur Joseph Appeltski découvrit le champ énergétique qui permettait d’accélérer des particules…, jusqu’au moment où elles disparaissaient !

Ses trois compagnons se retournèrent vers lui ; sous leur scaphandre boudiné, leur silhouette se perdait, et ce n’était plus qu’un groupe de bidendum qui faisait face à Patrick, au « commandant » Patrick !