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Il planta sa pioche dans le sol, et s’épongea le front avec son bandana. Puis il essaya de compter combien de trous il lui restait à creuser. Ce fut alors qu’il l’aperçut. Elle était face à lui, à une distance d’environ vingt mètres. Elle baissa lentement l’énorme appareil photo muni d’un téléobjectif derrière lequel elle disparaissait, mais il se doutait qu’elle l’avait déjà photographié, peut-être même à plusieurs reprises. Amusé, il se dit que si elle avait eu le cran de mitrailler un parfait inconnu sans lui demander la permission, il pouvait très bien se permettre de l’observer sans vergogne de la tête aux pieds. Ce qu’il fit. Elle était plutôt grande, au moins un mètre soixante-dix. Elle portait des bottes, une longue jupe brun clair et une tunique jaune pâle sans manches. Apparemment, il était plus désespéré qu’il ne le pensait car il remarqua tout de suite que ses vêtements se boutonnaient sur le devant, et se dit que cela pourrait se révéler pratique. Ses cheveux étaient courts et bouclés et, dans le soleil, ils se paraient de mille et un reflets allant du chocolat au lait au bronze doré. Elle était trop loin pour qu’il puisse distinguer la couleur de ses yeux, mais assez près pour dire avec certitude qu’elle était jolie. Ses pommettes hautes, son nez droit et ses lèvres pulpeuses, notamment, étaient du plus bel effet. Maintenant qu’il l’avait surprise en train de photographier un autochtone dans son milieu naturel, il s’attendait à ce qu’elle range son appareil.
Afficher en entierNick Chance était furieux. Clôturer cette partie rocailleuse du Ranch de la Dernière Chance n’avait aucun sens. Les chevaux n’y trouveraient rien à brouter, et l’endroit était bien trop éloigné de l’écurie pour servir de corral. Mais « monsieur » Jack — ce grand frère qui jouait au chef — avait décrété qu’il fallait le clôturer, « au cas où », et Nick avait dû dire adieu à sa journée de repos. Jack avait découvert qu’il n’avait rien de prévu ce jour-là, et il en avait profité pour lui mettre une pioche entre les mains. Nick avait bien été tenté de l’envoyer balader, mais cela n’aurait pas résolu le problème. Jack était exigeant avec ses proches, mais il l’était plus encore avec lui-même, et cette tendance s’était aggravée depuis la mort accidentelle de leur père à l’automne précédent. Tout le monde avait beau lui répéter qu’il n’y était pour rien, il refusait d’entendre raison. Nicholas Chance, docteur en médecine vétérinaire, était donc au volant non pas de son véhicule médicalisé dernier cri, mais de l’une des camionnettes cabossées du ranch, et il s’apprêtait à creuser des trous de poteaux qui n’avaient pas besoin d’être creusés. Qu’à cela ne tienne. Il en profiterait pour entretenir son bronzage. Une fois le moteur coupé — et sa chemise enlevée —, il admira un instant la vue exceptionnelle sur le massif des Tétons, avant de se mettre à la tâche. Aussitôt, il sentit tout sentiment d’animosité s’évanouir. Dans un décor pareil, il était impossible d’avoir le moindre sentiment négatif. Son regard embrassa le tapis gris vert de sauge parsemé de fleurs printanières, parmi lesquelles il reconnut des géraniums sauvages et des marguerites — les préférées de sa mère. La pluie qui était tombée pendant la nuit avait gonflé le torrent qu’il entendait couler au loin, au milieu des conifères.
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