Extraits

Les villageois prenaient les Purs pour des marginaux, réunis dans un monde à part, replié, inquiétant. Ils ne s’aventuraient jamais au hameau. Et inversement, les Purs passaient rarement au village, éloigné d’une quinzaine de kilomètres. C’était toute une expédition lorsqu’ils s’y rendaient. Toujours en groupe et en carriole, ils allaient acheter les journaux autorisés. Les femmes en robes longues et grises ou bien fleuries, bordées de dentelle blanche, les hommes vêtus de chemises à carreaux et coiffés de chapeaux sombres à larges bords. Tous chaussés de godillots noirs et lourds. Les gens s’écartaient sur leur passage. Autour d’eux, les murmures, la méfiance, les moqueries des gamins ou des commères.

Même en plein jour, le hameau semblait inhabité, dans les souvenirs d’Audrey. Vêtus de leurs tenues désuètes, les Purs le traversaient comme des ombres et rentraient chez eux. Tous travaillaient pour leur propre compte ou celui d’une famille voisine. On pouvait se planter des heures en plein centre du hameau sans apercevoir âme qui vive. Ils sortaient peu, en dehors des réunions, et restaient chez eux, derrière les rideaux. Les murs épais et silencieux des maisons. Les cheminées immenses où l’on pouvait se tenir debout à cinq. Sans électricité, avec des bougies et des lampes à pétrole pour seul éclairage, on vivait au rythme de la nature. En hiver, la nuit tombait à quatre heures et demie. L’été, les journées étaient un peu plus longues, mais les bois de conifères et de feuillus, proches, semblaient absorber la lumière et projeter leur ombre épaisse tout autour.

Était-il possible que les gens des environs, excédés, effrayés à l’idée que leurs enfants puissent être « contaminés » par la pensée et le mode de vie des Purs, aient fini par mettre le feu ? Ou alors avaient-ils, sans aucune preuve tangible, spontanément établi un lien entre la communauté du hameau et les meurtres en série ? Pensaient-ils sérieusement que l’Empailleur puisse être l’un des membres de la secte ?