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Presses de la Cité, p. 418
« La mémoire est une cruelle maîtresse avec qui il nous faut tous apprendre à valser. »
Afficher en entierElle surprenait des fées batifolant dans les toiles d'araignée, des insectes échangeant à voix basse des incantations secrètes sur les appuis de fenêtre, et, dans le fourneau, des esprits qui vivaient dans le feu et passaient leur temps à émettre des sifflements et des crachotements. Parfois, l'après-midi, elle s'installait dans son fauteuil à bascule pour les écouter. Et tard le soir, quand les créatures étaient endormies, elle narrait leur histoire au fil de contes qui n'appartenaient qu'à elle.
Afficher en entier«Cassandra se détourna du hublot, sortit le livre de contes de son bagage à main et le posa sur ses genoux. Sans savoir pourquoi, elle avait eu le certitude de devoir l'emporter. Sans doute parce que c'était un lien avec Nell, le passé de Nell - une des rares choses qui avaient traversé les océans avec elle. Mais cela tenait aussi à l'ouvrage proprement dit. Il exerçait sur elle, la même fascination que le jour où elle l'avait découvert, à l'âge de dix ans. "Eliza Makepeace". En le prononçant à voix basse, Cassandra ressentit un étrange frisson.
Tout en bas, l'océan s'étendait à l'infini. Cassandra entama la première histoire, intitulée "Les Yeux de l'aïeule", qu'elle se souvenait d'avoir lue par une chaude journée d'été, quand elle était petite.
"LES YEUX DE L'AÏEULE
par Eliza Makepeace
Il était une fois, dans une contrée lointaine, au-delà de la mer scintillante, un princesse qui ignorait qu'elle était une princesse, car lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant, son royaume avait été pillé et la famille royale passée par le fil de l'épée. OR, ce jour-là, la petite princesse jouait en dehors de l'enceinte du château. Elle ne sut rien de l'attaque avant que la nuit ne descende sur la terre et qu'elle ne renonce à ses jeux... pour retrouver son foyer en ruine. Elle erra quelque temps seule, puis trouva une maisonnette à la lisère d'une sombre forêt. Comme elle frappait à la porte, le ciel courroucé par le saccage dont il venait d'être témoin se déchira de colère et déversa sur tout le pays une violente averse.
Dans la maisonnette vivait une vieille femme aveugle qui prit pitié de la fillette et décida de la recueillir et de l'élever comme sa fille. Les tâches étaient nombreuses et il y avait fort à faire dans la maison, mais jamais on n'entendit la princesse se plaindre, car elle était une vrai princesse et son coeur était pur. Heureux sont les gens qui ne manquent pas d'occupations, car alors ils n'ont point de temps à consacrer aux raisons de leur malheur. C'est ainsi que la princesse grandit, contente de son sort. Elle apprit à aimer le passage des saisons, le bonheur de semer, cultiver, moissonner. Elle devenait très belle mais n'en savait rien, car l'aïeule ne possédait pas de miroir, pas plus qu'elle ne connaissait la vanité.
Un soir à souper, comme elle avait atteint sa seizième année, la princesse posa à la vieille - dont la peau était toute plissées de rides là où auraient dû se trouver ses yeux - une question qui l'intriguait depuis longtemps :
- Qu'est-il donc arrivé à vos yeux, l'aïeule ?
- La vue m'a été ôtée.
- Par qui ?
- Il y a bien des années, lorsque j'étais jeune fille, mon père m'aimait tant qu'il m'a ôté les yeux afin que je ne voie la mort et la dévastation qui sévissent en ce bas monde.
- Mais alors, chère aïeule, vous ne pouvez pas non plus en voir la beauté, remarqué la princesse en pensant au plaisir qu'elle même prenait à la floraison de son jardin.
- En effet, et il me plairait fort de te voir grandir, toi, ma beauté.
- N'est-il point possible de retrouver vos yeux ?
- Ils devaient m'être restitués par un messager le jour de mon soixantième anniversaire, répondit l'aïeule avec un sourire sans joie. Mais, le soir dit, c'est ma Beauté qui est venue, accompagnée d'une grande tempête de pluie, et je n'ai pu aller à sa rencontre.
- Ne peut-on pas aller les chercher maintenant ?"»
Afficher en entierEt il n'y avait de pire châtiment que de voir souffrir son enfant bien-aimée.
Afficher en entier- Oui, je suis arrivée hier. Et j'ai apporté l'orage avec moi.
- Vous en avez des pouvoirs, pour une si petite personne.
Afficher en entier- Qu'est-ce que c'est que ça ?
- La fillette, monsieur. Celle qu'on m'a dit d'aller chercher.
- Vous appelez ça une fillette ?
Afficher en entierUn jour où elle croyait Cassandra hors de portée d'oreille, elle avait dit qu'abandonner un enfant dénotait une insensibilité, une incurie impardonnables.
Afficher en entierInvariablement, ses pensées se tournaient alors vers le secret qu'il gardait enfoui depuis de longues années. (...).
Certes, il ne savait pas où il mettait les pieds ; mais il avait entraîné tout le monde sur cette voie et maintenant il devait assumer ses responsabilités. Les secrets finissaient toujours par sortir au grand jour ; et il préférait que Nell apprenne la vérité de sa bouche à lui.
2. Bisbane, Australie, 1930
Afficher en entierTandis que la voiture fonçait à vive allure vers Blackhurst, les sabots des chevaux martelaient la terre sèche et froide avec un bruit de tonnerre,mais Eliza ne les entendait pas. Le chloroforme avait fait son effet et, tassée dans un coin, elle restait perdue dans une brume chimique.
Afficher en entierEliza avait vu juste: le prénom Rose était fait pour les princesses de contes de fées, et sa petite cousine Mountrachet jouissait à la fois du statut privilégié et de la beauté qui convenaient au rôle. Malheureusement pour elle, les onze premières années de sa vie n'avaient rien eu de merveilleux.
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