Extraits

Malko remonte les escaliers, et avance dans le couloir, de plus en plus lentement à mesure qu'il s'approche de la porte de sa chambre. Quand ses pieds nus arrivent au seuil, il s'immobilise, tétanisé. La pièce a beau être plongée dans la pénombre, il aperçoit les reflets de la vie répandue. Il devine le corps d'Alicia, silhouette pâle repliée sur elle-même, dans les draps écarlates.

« Il reconnait l’animal dont il a déjà rêvé. Le chien du pont. C’est une bête maigre et malade, les côtes saillantes, le poil crotté et le regard mauvais, qui s’avance vers lui, babines retroussées qui dévoilent des crocs jaunes.

Va t’en.

Un filet de bave s’écoule de sa gueule. Un grognement filtre de ses babines retroussées, se répercutant dans la pièce. C’est une vibration si grave, si rocailleuse, que Malko la sent résonner tout au fond de lui, comme si ce grognement sortait de sa propre poitrine.

Foutu animal, va t’en. Laisse-moi.

Le chien se rapproche de lui, comme s’il le jaugeait. Malko peut à présent sentir son souffle pestilentiel. Un miasme de bile et d’excréments. Une odeur tout droit sortie de l’enfer. »

Le véhicule, renversé sur son toit, s’est arrêté de glisser au milieu du pont.

Malko ouvre les yeux en criant de douleur.

La main de Jack ne veut pas lâcher ses cheveux, et il a l’impression que c’est tout son cuir chevelu qui va se détacher de son crâne

— Ne me dites pas que…

Il vérifie une nouvelle fois. Mais il sait déjà qu’il ne s’est pas trompé. Les menaces que lui a envoyées l’interlocuteur inconnu ont disparu de son téléphone.

Il se met à transpirer à grosses gouttes.

Je ne deviens pas fou, se répète-t-il.

C’est tout simplement impossible.

— Impossible ! crie-t-il en sortant comme un diable des toilettes

Il finit par retrouver un vieux rouleau de film plastique. Il est certain d'en avoir encore.

Il saisit la poignée du dérouleur et étire quelques centimètres de plastique. Celui-ci est fin, mais très résistant.

Parfait pour entourer un corps.

Pour empêcher que le sang ne se répande.

Malko monte l'escalier quatre à quatre.

Il peut le faire. Il est certain qu'il peut le faire.

Il a même presque l'impression de l'avoir déjà fait.

— Qu’y a-t-il donc, Olivia ?

— Vous ne sentez rien ?

— Non. Je ne sens rien, dit Malko entre ses dents serrées.

— Je vous assure, il y a une drôle d’odeur.

Malko essaie de rester le plus imperturbable possible. Il se demande si Olivia voit sa sueur, ou pas. Peut-être pas.

— Ah, oui. Ce doit encore être cette fichue poubelle. C’est ça. J’étais en train de la refermer, dans la cuisine, quand je vous ai vue arriver.

Il balaie l’air devant lui comme pour chasser le relent.

— Il était temps que je m’en occupe, hein ?

La jeune femme hoche la tête.

— Il semblerait, oui.

— Je vais la jeter tout de suite. Pouvez-vous repasser, disons, lundi prochain, comme d’habitude ?

— Eh bien, si vous le dites, soupire la demoiselle en tournant les talons.

Il l’entend pester. Elle rentre dans sa voiture et manœuvre pour faire demi-tour, puis repartir.

Mais il voit très bien qu’elle se retourne et l’observe avec des yeux soupçonneux.

Malko attend que le portail soit clos avant de fermer la porte.

Il tremble comme une feuille

- Le fait que, quoi qu’il arrive, je sais pourquoi je suis là. Malgré tout ce qu’on traverse. Malgré le manque de moyens, ces fusils à crosse en plastique qu’on nous refile pour faire des économies de bouts de chandelle, et toutes ces nouvelles directives idiotes et inapplicables, je garde toujours en tête qui je suis. Je n’oublie pas pourquoi je suis là. C’est uniquement pour eux, là dehors. Je suis toujours ce héros qui vient apporter de l’aide aux plus faibles. Et si je te dis ça, c’est parce que Vauvert est comme ça, lui aussi. Il se cache derrière son armure, mais, en dessous, c’est le plus idéaliste de nous tous. S’il t’arrivait quoi que ce soit, ce serait le premier à se mouiller pour te défendre.

Malko peut apercevoir, c'est la main de cet homme, qui caresse le chien mort. Et cette caresse plaît à l'animal, qui ferme son unique oeil et se met à grogner de plaisir, sortant une langue noire et gonflée de petits vers. Ceux-ci s'échappent de sa gueule, rampent avec entrain sur la chair pétrifiée de ses naseaux, glissent sur la main de l'homme et s'immiscent sous ses ongles noirs de crasse.

Il lève son verre et hume l'arome du vin, tout en observant les touches d'ivoire et d'ebene. Blanc et noir. Noir et blanc. Peut-il y avoir plus hypnotique qu'un tel spectacle? Les touches d'un piano sont comme une alphabet parfait, se répétant, se répondant. Malko a toujours entendu la musique comme des couleurs. Pour lui, les notes de piano sont toujours vertes ou bleues. Il n'a jamais pu expliquer pourquoi.

Et maintenant...

Maintenant, il observe ces touches sans oser les effleurer. Il vient ici tous les jours depuis trois mois. Il s'assoit. Il regarde le piano. Il voit les touches, il peut sentir leur douce perfection quand il les effleure, mais il est aveugle à leur musique.