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Il ne fait aucun doute que si, comme vous, j’avais été doué de la faculté d’oubli, je l’aurais rejeté dans le passé, en ce matin où je jouais des coudes au milieu de la foule ; ainsi, d’une certaine manière, j’aurais échappé à cette mort au cœur même de la vie qui m’étreint alors que précisément j’écris ces mots. Ou peut-être n’y aurais-je pas échappé, après tout. Oui, cela me paraît plus vraisemblable. De toute façon, ces anciens souvenirs rappelés à la vie étaient trop forts et trop chargés d’émotions, j’étais prisonnier de l’admiration que j’avais autrefois éprouvée, comme une mouche l’est de la parcelle d’ambre issue d’un pin depuis longtemps disparu

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« L’année suivante, au moment de la moisson, quelqu’un voulut acheter la maison. Les immeubles deviennent la propriété de la ville, comprenez-vous. C’est comme cela que nous finançons les travaux ; l’entrepreneur chargé de murer récupère tout ce qu’il trouve à l’intérieur, et la ville garde la maison et le terrain

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Il s’arrêta et fit un pas en arrière afin de mieux m’examiner, hochant la tête comme s’il était fort impressionné. « Ils vous vont bien, et vous donnent fière allure. Vous avez également une belle tête, si ce n’est que vous êtes peut-être un petit peu trop pâle ; mais notre climat du nord se chargera de vous donner rapidement des couleurs. De toute façon, ils vous vont très bien et tombent parfaitement. Si l’on vous demande où vous vous les êtes procurés, vous pouvez toujours répondre que c’est à la foire de Saltus. Cela ne vous engage à rien. » Je promis de faire ainsi, mais je me sentais bien plus préoccupé par la sécurité de Terminus Est, que j’avais laissée cachée dans notre chambre de l’auberge, que par mon apparence extérieure ou la solidité des vêtements que je venais d’acheter à un fripier

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Jonas secoua la tête. « Avant que ne soient murées toutes les ouvertures, on passe la maison au peigne fin et on emporte tout ce qui ressemble à un outil ou une bougie, et toute la nourriture, sans parler de tout ce qui peut présenter une certaine valeur. 

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La maison du brigand ne se distinguait en rien des habitations ordinaires du village. Elle était bâtie de ces pierres concassées qui proviennent des mines, et ne possédait qu’un rez-de-chaussée surmonté d’un toit plat d’apparence solide, en lauzes du même matériau. La porte, ainsi que l’unique fenêtre que je pouvais voir depuis la rue, avaient été grossièrement murées. Une centaine de badauds, environ, des gens venus pour la foire, attendaient devant la maison et la montraient du doigt tout en parlant ; mais aucun son ne provenait de l’intérieur de la demeure, et aucune fumée ne sortait de la cheminée

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Il ne fait aucun doute que si, comme vous, j’avais été doué de la faculté d’oubli, je l’aurais rejeté dans le passé, en ce matin où je jouais des coudes au milieu de la foule ; ainsi, d’une certaine manière, j’aurais échappé à cette mort au cœur même de la vie qui m’étreint alors que précisément j’écris ces mots. Ou peut-être n’y aurais-je pas échappé, après tout. Oui, cela me paraît plus vraisemblable. De toute façon, ces anciens souvenirs rappelés à la vie étaient trop forts et trop chargés d’émotions, j’étais prisonnier de l’admiration que j’avais autrefois éprouvée, comme une mouche l’est de la parcelle d’ambre issue d’un pin depuis longtemps disparu

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Je donnerais volontiers tout ce que je possède de plus cher pour devenir comme l’un d’entre vous, qui vous plaignez chaque jour de votre mauvaise mémoire. La mienne n’oublie rien. Tous mes souvenirs y restent, aussi nets et précis qu’au moment où je les ai vécus ; et si je les évoque, ils me submergent complètement

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La chanson se poursuivait ainsi, couplet après couplet, certains me paraissant mystérieux, d’autres simplement comiques, d’autres enfin faits de vers mis ensemble uniquement pour la rime ; et ils les reprenaient sans fin. « Beau spectacle, vous ne trouvez pas ? » C’était l’aubergiste, dont le crâne luisant m’arrivait à l’épaule. « Ils viennent du Sud ; remarquez tous ces cheveux blonds, et leur peau tachée de son. Ils ont l’habitude du froid, dans leur coin, ce qui vaut mieux pour eux, quand ils seront dans les montagnes. Malgré tout, leur chanson donne presque envie de s’enrôler. Combien sont-ils d’après vous ? 

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Les hommes étaient des kelaus, armés de frondes dont les manches faisaient deux coudées, et portant des sacoches de cuir peint lestées de boulettes incendiaires. Bien peu me parurent plus âgés que moi, et la plupart me semblèrent plus jeunes ; toutefois, leurs brigandines dorées, leurs ceinturons ouvragés et le fourreau de leurs braquemarts attestaient leur appartenance au corps d’élite des érentaïres. Leur chanson ne parlait ni de guerre ni de femmes, comme le font la plupart des airs militaires, mais c’était une véritable chanson de frondeurs. Voici du moins ce que j’en ai entendu ce jour-là 

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Je sortis de nouveau après le petit déjeuner, et vis les rêves enchantés de l’alcade prendre forme. Les gens de la campagne arrivaient en foule dans le village, avec des fruits, des animaux ou des balles de tissu artisanal ; parmi eux, se trouvaient quelques autochtones venus négocier des peaux et des fourrures, ou proposer des brochettes d’oiseaux noir et vert tués à la cerbatane. Je me mis à regretter de ne pas avoir pris le manteau marron que m’avait vendu le frère d’Aghia, car ma cape de fuligine attirait désagréablement l’attention. Je m’apprêtais à faire une nouvelle fois demi-tour, lorsque j’entendis marcher au pas cadencé – un bruit familier, après toutes les relèves de la garde dont j’avais été témoin à la Citadelle, mais que je n’avais plus remarqué depuis que je l’avais quittée

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