Extraits

Plus on étudie le Neverworld, plus on y découvre des choses sur soi. Ses secrets les plus sombres. Ses pires cauchemars. Ses angoisses et ses rêves. Ce qu'on n'ose avouer à personne. Tout est là, il suffit de regarder de près...

La porte s’ouvrit.

Kipling se tenait devant moi. Il portait une perruque rose à la coupe au carré qui lui arrivait au menton, un polo bleu, un bermuda et des tongs. Il était bronzé et mâchonnait une paille rouge, qu’il lâcha en me voyant.

– Que la foudre du Seigneur s’abatte sur moi ! s’exclama-t-il de son accent traînant de propriétaire de plantation de coton.

En jetant un coup d’œil à mon reflet dans le rétroviseur, je fus prise d’une bouffée d’angoisse : j’étais mal coiffée, j’avais les lèvres gercées et le front luisant. On aurait dit que je venais de terminer un marathon. Bonne dernière, en plus. Alors je me tamponnai comme je pus le visage avec le rouleau de papier hygiénique que mon père gardait toujours dans la portière, me pinçai les joues, remis des mèches de cheveux bruns derrière mes oreilles. Puis je remontai le chemin pavé et m’emparai de la tête de lion en cuivre qui servait de heurtoir.

L’amour de votre vie n’est pas censé mourir au seuil de l’âge adulte. Mais quand ça se produit, c’est généralement dû à l’une des Trois Bonnes Raisons de Mourir Jeune : A. Accident de voiture. B. Cancer. C. Suicide. Après avoir sélectionné le choix approprié, l’adulte pouvait ainsi rapidement vous orienter vers des films (souvent avec Timothy Hutton) ou des ouvrages pour vous aider à faire votre deuil.

Mais quand la mort de votre petit ami reste inexpliquée, et que vous êtes face à un gouffre de culpabilité et de questions sans réponses ?

Aucun film ou livre ne peut vous aider dans ce genre de situation.

L’Exorciste, à la rigueur.

Ma mère avait la même tête que si on venait de lui annoncer qu’il me restait six semaines à vivre. Parfois, quand elle était très contrariée, elle mâchait un chewing-gum imaginaire. Ce qu’elle était précisément en train de faire.

Le portrait au fusain de Burn trônait au-dessus de l’entrée. Il ressemblait aussi bien à un écrivain fou et génial qu’à un explorateur qui se serait perdu en Arctique. En vérité, il savait à peine lire, il préférait les visages familiers à ceux des étrangers, et la terre ferme à la mer. Il avait passé sa vie à tenir son petit restaurant du port, ce qui lui avait permis de peaufiner sa recette de soupe aux palourdes pour en faire la meilleure du monde.

Je n’avais pas eu le moindre contact avec Whitley Lansing ni avec les autres depuis plus d’un an.

Alors quand je reçus son sms juste après mon dernier examen, il avait un goût d’inévitable, un peu comme une comète qui fend le ciel en pleine nuit : un aperçu du destin qui m’attendait.

L'esprit fait de son mieux pour atténuer l'impact d'une catastrophe. Mais au bout d'un moment, l'écart entre la réalité et le fantasme finit par être trop grand. Et là, toutes les tentatives de déni et l'espoir que tout s'arrange deviennent vain. Alors, vous vous réveillez en hurlant...

Le temps est figé là. Il s'est bloqué dans un dixième de seconde, tel un papillon-lune dans un bocal. Il y a bien sûr une issue. Il existe une seule façon pour le papillon de s'échapper, et pour le temps de reprendre son cours...