Le miracle de l'ange sans visage

En fin d’après-midi, à la fin de la visite, Gabin avait le cœur gros de les voir s’en aller. Alors, pour leur mettre un peu de baume au cœur, il offrit à chacun d’eux le santon de son choix, un peu de Provence à emporter dans sa prison. Ils devaient croupir dans un lieu infâme qu’il n’osait pas imaginer, au cœur de cette ville immense et anonyme, où l’enfance n’existait déjà plus pour eux. Pour faire bonne mesure, il sortit une seconde brioche, qu’il avait gardée pour son usage personnel, la découpa en tranches et en remit une à chacun, enveloppée dans du papier. C’était bien peu de chose ; Fidèle et lui attendraient la prochaine fournée… Il lui expliquerait ; la chienne comprendrait et lui donnerait raison.

Les gosses lui firent de grosses bises en le serrant fort dans leurs bras et, au fond de leurs yeux, Gabin devina leur joie, même s’ils avaient appris à ne pas la manifester ouvertement. Cela lui suffisait. Comme il préférait ne pas les voir remonter dans le car, il s’affaira devant son four en bougonnant contre la vie et la malchance qui avaient condamné ces enfants à supporter de tels aléas. Sa colère était profonde et son impuissance le mettait en rage.

La porte de son atelier s’ouvrit soudain dans son dos, et il se retourna pour voir cette diablesse rapporter un panier dont elle renversa le contenu sur la table, avec un rictus triomphant. Tous les santons qu’il venait d’offrir aux enfants tombèrent en vrac, et certains se brisèrent en roulant sur le vieux bois. Il y avait aussi les friandises et les bouts de brioche. La garce leur avait fait les poches ! Elle leur avait tout repris !