Ajouter un extrait
Liste des extraits
La fille paraît stressée. Cela rend Britt-Marie nerveuse à son tour. Elle décide de faire promptement un compliment à la fille, pour prouver sa bonne volonté. Elle regarde autour d’elle en quête d’idées et lance avec son sourire le plus aimable possible :
– Elle est très moderne, votre coiffure.
Les doigts de la fille s’élèvent automatiquement vers ses cheveux.
– Quoi ? Oh, merci.
– C’est très courageux de se couper les cheveux si court quand on a un front aussi large que le vôtre, ajoute Britt-Marie.
Afficher en entierLa fille ouvre de nouveau la bouche, mais Britt-Marie la devance :
– Pourriez-vous s’il vous plaît m’indiquer où poser ma tasse de café ?
Britt-Marie prononce ces mots en invoquant toute la bonté dont elle dispose pour appeler « tasse » son gobelet en plastique.
– Quoi ? lance la fille.
À croire qu’on peut poser les tasses où ça nous chante. Britt-Marie lui adresse son sourire le plus aimable.
– Vous avez oublié de me donner un sous-verre. Je ne voudrais pas salir votre table.
De l’autre côté du bureau, la fille n’a pas bien l’air de comprendre l’intérêt des sous-verres. Ni de la vraie vaisselle. Pas plus, conclut Britt-Marie en observant la coiffure de la fille, que celui des miroirs.
– Peu importe, vous n’avez qu’à la poser ici, répond la fille, qui désigne un espace dégagé sur son bureau.
Comme si la vie était aussi simple. Comme si les sous-verres ou l’ordre des couverts dans un tiroir étaient insignifiants. La fille tapote le papier du bout de son stylo, à côté de la case « Adresse ». Britt-Marie respire avec une infinie patience. Ce n’est absolument pas un soupir.
– On ne pose pas une tasse sur un bureau. Ça pourrait le tacher.
La fille considère la surface du meuble. On croirait que des enfants ont mangé des pommes de terre à même la table. À la fourche. Dans le noir.
– Ne vous en faites pas. Il est déjà rayé de partout, la rassure-t-elle.
Britt-Marie hurle en son for intérieur.
– Et vous n’avez pas songé que s’il est dans cet état, c’est peut-être parce que vous n’utilisez pas de sous-verres.
Afficher en entierLa fille lui tend deux petits godets de lait, de ceux qui se conservent à température ambiante, et un gobelet en plastique rempli de cuillères jetables. Britt-Marie n’aurait pas été plus épouvantée par la vue d’un serpent.
– Vous n’aimez pas le lait et le sucre dans votre café ? demande la fille, étonnée par la réaction de la femme en face d’elle.
Britt-Marie secoue la tête et balaie le bureau de la main, comme s’il était couvert de miettes invisibles. Il y a des papiers partout, empilés pêle-mêle. Naturellement, la fille n’a pas le temps de les trier, comprend Britt-Marie. Elle est bien trop prise par sa carrière.
– Bien, écrivez votre adresse ici, répète la fille avec un sourire en désignant le formulaire.
Britt-Marie baisse les yeux et brosse des poussières invisibles de sa jupe. Elle aimerait être chez elle, avec son tiroir à couverts. Mener une vie normale. Elle voudrait que Kent soit là, car c’est lui qui remplit toujours les papiers.
Afficher en entierLa fille pousse un papier vers Britt-Marie et sourit. Elle est manifestement pressée.
– Inscrivez ici votre nom, votre numéro de sécurité sociale et votre adresse.
Britt-Marie doit se faire enregistrer. Comme une criminelle qui viendrait voler du travail plutôt qu’en demander.
– Vous prenez du lait et du sucre ? demande la fille en versant du café dans un gobelet en plastique.
Britt-Marie ne juge personne, mais en voilà des manières ! Un gobelet en plastique ! C’est la guerre ou quoi ? Britt-Marie a bien envie de poser cette question à la fille, mais Kent exhorte sans arrêt Britt-Marie à être « plus sociable ». Alors elle sourit avec toute la diplomatie dont elle est capable et attend qu’on lui offre un sous-verre.
Kent est l’époux de Britt-Marie. Il est entrepreneur. Il a très, très bien réussi. Il fait des affaires avec l’Allemagne et il est très, très sociable.
Afficher en entierC’est un lundi de janvier. Britt-Marie est assise à un petit bureau à l’Agence pour l’emploi. Certes, les couverts n’ont rien à voir là-dedans, mais ils lui viennent à l’esprit parce qu’ils résument tout ce qui va de travers dernièrement. Les couverts se doivent d’être rangés comme ils l’ont toujours été, car la vie se doit de continuer, inchangée. Une vie normale est présentable : on nettoie la cuisine, on soigne son balcon et on s’occupe des enfants. C’est plus de travail qu’on le croit – avoir un balcon.
Dans une vie normale, on ne met pas les pieds à l’Agence pour l’emploi.
Afficher en entierIl est difficile de ne pas vouloir retourner à sa vie normale quand on a compris la force que cela exige, d'en commencer une nouvelle.
Afficher en entierLa crise économique, peut-être finie dans les grandes villes, mais adore Borg. Elle habite ici maintenant, cette conne !
Afficher en entierLes enfants installent quatre cannettes de limonade en guise de poteaux de but. Les modestes boîtes d’aluminium ont le pouvoir magique de transformer les parkings en terrain de foot par leur simple présence.
Afficher en entierLes villages ont beaucoup en commun avec les gens. Tant qu'on ne pose pas trop de questions et qu'on ne déplace pas les meubles, on n'a pas à affronter leurs pires côtés.
Afficher en entierBritt-Marie lui adresse un sourire patient.
-C'est une marque de nettoyant pour vitres.
Britt-Marie n'a jamais utilisé d'autre produit que le Faxin. Un jour qu'elle était enfant, elle avait vu une publicité dans le journal de son père. La photo montrait une femme qui regardait à travers uen vitre propre, au-dessus d'une phrase: "Faxin vous révèle le monde." Britt-Marie avait aimé cette image. Depuis qu'elle était assez grande, elle nettoyait ses carreaux au Faxin chaque jour de sa vie et n'avait jamais eu de difficultés à voir le monde. C'était le monde qui avait du mal à la voir.
<...>
-On s'en fout. J'ai une autre marque! vous voulez voir ? <...>
-Jamais ! l'arrête Britt-Marie en se dirigeant vers la porte. Si c'est comme ça, j'utiliserai du bicarbonate !
On ne change pas si simplement la façon de Britt-Marie de voir le monde.
Afficher en entier