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Autant le dire tout de suite : s’il existe bien une période médiévale, le Moyen Âge n’existe pas, ou plutôt ce n’est qu’une expression. Elle a été forgée par les hommes de la Renaissance, en particulier les humanistes italiens : ils voulaient restaurer, tout en restant chrétiens, la grandeur spirituelle, intellectuelle, artistique et les langues authentiques de la civilisation de Rome et de la Grèce. Entre eux, les « restaurateurs », et leurs glorieux modèles, s’étaient déroulés des temps obscurs, encombrés de luttes sans gloire, d’écrits sans style, de monuments difformes : Pétrarque, dès le XIVe siècle, les appelle les tempora media, les temps intermédiaires… Ils n’étaient pas les premiers à avoir cette vision : les Carolingiens, puis au XIIe siècle, les intellectuels qui sont à l’origine de la naissance des universités ont, eux aussi, et sur des bases différentes, lancé des « Renaissance » plus ou moins conscientes : mais l’opération qui a réussi est celle des humanistes italiens. Ce faisant, les humanistes donnaient au Moyen Âge un début (la chute de l’Empire romain, assimilée à une fin brutale de la civilisation antique) et une fin (la fin du XVe siècle, quand la reconstruction somptueuse et triomphale de la Rome pontificale manifeste le triomphe des valeurs « modernes » fondées sur une redécouverte savante de la culture antique).
Ce « Moyen Âge », ce millénaire obscur qui s’étendait ainsi entre deux périodes glorieuses de l’histoire de l’humanité, allait tour à tour servir de repoussoir aux uns et de modèle aux autres. Même l’apparition d’une histoire « scientifique », dans le courant du XIXe siècle, ne permit pas de clarifier vraiment cette obscurité : au contraire, à la recherche d’une fin plausible de la période médiévale, ou plus exactement d’un début crédible de la période « moderne », aboutit à substituer à la Renaissance italienne, impossible à dater avec précision (puisque c’est avant tout un phénomène culturel et qu’elle commence en fait à la fin du XIIIe siècle) soit la chute de Constantinople (1453), soit la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492) : dates essentielles certes, mais qui masquaient la logique qui avait en fait créé le « Moyen Âge », un « Moyen Âge » sur l’existence duquel il n’était dès lors plus nécessaire de s’interroger et auquel on allait au contraire s’ingénier à donner une unité et une cohérence qu’il ne pouvait évidemment pas avoir ! Le Moyen Âge est, plus que toute autre période de l’histoire, une construction intellectuelle, faite pour donner un semblant de cohérence à ce qui n’est en réalité qu’un « entre-deux ». D’où, pour celui qui entreprend de l’étudier, un certain nombre de difficultés spécifiques.
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