le musée des amours lointaines

Ilaria est assise sur un petit tabouret. Elle pose face au peintre, en essayant de ne pas se laisser submerger par la tristesse. Après avoir séché ses larmes, la jeune épouse a remis de l’ordre dans ses longs cheveux bruns, qui tombent sur ses épaules avant de se perdre le long de son dos. Jioseppe est très concentré. Il veut donner le meilleur de son art et met tout son savoir-faire au service de cette œuvre. À travers le modèle, il doit représenter un sentiment : l’amour. Adriano se tient derrière son ami peintre. Il observe l’exécution de chaque touche de peinture. Il n’y a pas à dire, Jioseppe a vraiment un don, qui lui permet d’aller au-delà même de la représentation vraie, pour toucher l’idéal.

— Comme je le dis toujours, Jioseppe, tu es le Dibutades du seizième siècle.

— Même si je suis flatté d’être comparé à un personnage mythique, il faut se rappeler que Dibutades était un potier.

— Qui a réalisé la toute première sculpture de l’Histoire de l’humanité. Et dans le même but qu’aujourd’hui : pour conserver le souvenir d’un amour lointain.

— C’est exact. Et, mon cher Adriano, il est fort correct de parler de sculpture humaine. Je veux dire par là qu’il ne s’agissait pas d’un portrait. La peinture et la sculpture sont deux arts bien différents.

— Qu’importe, Dibutades est une légende grandiose que tu surpasseras, si l’Histoire se montre juste avec ton talent !

Malgré l’enthousiasme de son ami, Jioseppe a bien conscience de ne pas être considéré par les connaisseurs de son temps comme un peintre majeur. Parfois, il y pense. Et puis, il se concentre sur son art et réalise les plus beaux portraits qui soient. Il se dit qu’après tout, les génies n’ont jamais été reconnus par leurs contemporains.

— Est-ce que ce portrait est fidèle ?

— Une splendeur. Je savais que tu réaliserais la plus belle des peintures. Seul Jioseppe Campi est capable d’imiter la beauté !

Le peintre voudrait contredire son ami, lui expliquer qu’il ne se considère pas comme un simple imitateur de la nature. Mais Adriano est déjà sur le point de partir. Les amoureux ont encore tant de choses à faire avant le départ pour Venise.

— As-tu un de tes contrats ?

Jioseppe ouvre un tiroir et en sort une feuille de papier sur laquelle un texte est déjà rédigé à la plume. Dans la première phrase de ce contrat, un blanc a été laissé, pour ajouter le nom du modèle peint et celui du commanditaire. Adriano signe et prend encore une fois son ami peintre dans ses bras. C’est toujours à ce moment que, fort discrètement, il glisse dans la poche de l’artiste une rémunération substantielle.

— Dès mon retour, nous t’inviterons à la maison.

— Bon voyage mon ami.

Adriano et Ilaria s’éloignent. Le mécène tient fermement le portrait sous son bras. Pourtant, il s’agit bien d’une huile sur toile, qui vient d’être peinte !