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Dans son immobilité, il avait l'air d'être son propre inventaire
Afficher en entierL'odeur d'un cheval écumant de sueur avait pour lui autant de prix que le délicat parfum vert de boutons de rose qui se gonflent, la puanteur âcre d'une punaise ne valait pas moins que les effluves d'un rôti de veau farci, embaumant depuis les cuisines de quelque notable.
Afficher en entierEn vérité, Grenouille, la tique solitaire, cet être abominable, ce monstre de Grenouille, qui n'avait jamais éprouvé d'amour et ne put jamais l'inspirer, était ce jour sous les remparts de Grasse, et il aimait, et cet amour le rendait profondément heureux.
Afficher en entierJusque-là, il avait toujours cru que c'était le monde en général qui le contraignait à se recroqueviller. Mais ce n'était pas le monde, c'étaient les hommes. Avec le monde, apparemment, le monde déserté par les hommes, on pouvait vivre.
Afficher en entierIl gisait comme son propre cadavre dans cette crypte rocheuse, c'est à peine s'il respirait, si son cœur battait encore... et il vivait pourtant avec une telle intensité et dans des débordements comme jamais viveur n'en connut e tels dans le monde extérieur.
Afficher en entierLà, il s'arrêta, reprit ses esprits et flaira. Il l'avait. Il le tenait. Comme un ruban, le parfum s'étirait le long de la rue de Seine, net et impossible à confondre., mais toujours aussi délicat et subtil. Grenouille sentit son coeur cogner dans sa poitrine et il sut que ce n'était pas l'effort d'avoir couru, mais l'excitation et le désarroi que lui causait la présence de ce parfum. Il tenta de se rappeler quelque chose de comparable et ne put que récuser toute comparaison. Ce parfum avait de la fraicheur; mais pas la fraîcheur des limettes ou des oranges, pas la fraîcheur de la myrrhe ou de la feuille de cannelle ou de la menthe crépue ou des bouleaux ou du camphre ou des aiguilles de pin, ni celle d'une pluie de mai, d'un vent de gel ou d'une eau de source... et il avait en même temps de la chaleur; mais pas comme la bergamote, le cyprès ou le musc, pas comme le jasmin ou le narcisse, pas comme le bois de rose et pas comme l'iris... Ce parfum était un mélange des deux, de ce qui passe et de ce qui pèse; pas un mélange, une unité, et avec a modeste et faible, et pourtant robuste et serré, comme un morceau de fine soie chatoyante.... et pourtant pas comme de la soie, plutôt comme du lait au mied où fond un biscuit - ce qui pour le coup n'allait pas du tout ensemble: du lait et de la soie! Incompréhensible, ce parfum, indescriptible, impossible à classer d'aucune manière, du fait il n'aurait pas dû exister. Et cependant il était là, avec un naturel parfait et splendide. Grenouille le suivait, le coeur cognant d'anxiété, car il soupçonnait que ce n'était pas lui qui suivait le parfum, mais que c'était le parfum qui l'avait fait captif, et l'attirait à présent vers lui, irrésistiblement.
Afficher en entierC'est alors que l'enfant s'éveilla. Son réveil débuta par le nez. Son petit bout de nez bougea, se retroussa et renifla. Ce nez aspirait l'air et le rejetait en courtes bouffées qui ressemblaient à des éternuements inachevés. Puis le nez se plissa, et l'enfant ouvrit les yeux. Ces yeux étaient d'une couleur mal définie, à mi-chemin entre un gris d'huître et un blanc crémeux et opalin, et ils semblaient voilés d'une sorte de taie vitreuse, comme si manifestement ils n'étaient pas encore aptes à voir. Terrier eut l'impression que ces yeux ne le percevaient pas du tout. Il en allait tout autrement du nez. Tandis que les yeux sans éclat de l'enfant louchaient dans le vague, le nez paraissait fixer un but précis, et Terrier eut le sentiment très étrange que ce but, c'était lui, sa personne, Terrier lui-même. Les minuscules ailes de ces minuscules narines, au milieu du visage de l'enfant, se dilataient comme une fleur qui éclôt. Ou plutôt comme les corolles de ces petites plantes carnivores qu'on voyait dans le jardin botanique du roi. Et comme des ces plantes, il en émanait une aspiration inquiétante. Il semblait à Terrier que l'enfant le regardait avec ses narines, l'examinait sans complaisance, plus implacablement qu'on ne saurait le faire avec les yeux, qu'il engloutissait avec son nez quelque chose qui émanait de Terrier sans que celui-ci pût le retenir ni le dissimuler... Cet enfant sans odeur passait impudemment en revue ses odeurs à lui, Terrier, c'était bien cela! Il le flairait des pieds à la tête! Et Terrier tout d'un coup se trouva puant, puant la sueur et le vinaigre, la choucroute et les vêtements sales. Il eut le sentiment d'être nu et laid, livré aux regards de quelqu'un qui le fixait sans rien livrer de soi-même. Cette exploration olfactive paraissait même traverser sa peau et le pénétrer en profondeur.
Afficher en entier« Car l'odeur était soeur de la respiration. Elle pénétrait dans les hommes en même temps que celle-ci; ils ne pouvaient se défendre d'elle, s'ils voulaient vivre. Et l'odeur pénétrait directement en eux jusqu'à leur coeur, et elle y décidait catégoriquement de l'inclination et du mépris, du dégoût et du désir, de l'amour et de la haine. Qui maîtrisait les odeurs maîtrisait le coeur des hommes. »
Afficher en entierMaintenant il sentait qu'elle était un être humain, il sentait la sueur de ses aisselles, le gras de ses cheveux, l'odeur de poisson de son sexe, et il les sentait avec délectation. Sa sueur fleurait aussi frais que le vent de mer, le sébum de sa chevelure aussi sucré que l'huile de noix, son sexe comme un bouquet de lis d'eau, sa peau comme les fleurs de l'abricotier... et l'alliance de toutes ces composantes donnait un parfum tellement riche, tellement équilibré, tellement enchanteur, que tout ce que Grenouille avait jusque-là senti en fait de parfums, toutes les constructions olfactives qu'il avait échafaudées par jeu en lui-même, tout cela se trouvait ravalé d'un coup à la pure insignifiance.
Afficher en entierCe parfum unique était le principe supérieur sur le modèle duquel devaient s'ordonner tous les autres. Il était la beauté pure.
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