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« A l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton ; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courte-pointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les cheminées crachaient une puanteur de soufre, les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés ; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d’oignons, et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l’épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu’en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve, et la reine comme une vieille chèvre, été comme hiver. Car en ce XVIIIe siècle, l’activité délétère des bactéries ne rencontrait encore aucune limite, aussi n’y avait-il aucune activité humaine, qu’elle fût constructive ou destructive, aucune manifestation de la vie en germe ou bien à son déclin, qui ne fût accompagnée de puanteur. »
Afficher en entierLe parfumeur tourne cette fâcheuse difficulté en liant les senteurs trop évanescentes par de senteurs tenaces qui leur mettent en quelque sorte des entraves et brident leur aspiration à la liberté, tout l'art consistant à laisser ces entraves assez lâches pour que l'odeur qui les subit paraisse conserver sa liberté, mais à les resserrer tout de même suffisamment pour qu'elle ne puisse s'enfuir.
Afficher en entierComme le sommeil le gagnait, il s'enfonça de plus en plus profondément en lui-même et fait une entrée triomphale dans sa citadelle intérieure où il entreprit, pour fêter sa victoire, de célébrer en rêve une fête olfactive, une gigantesque orgie de fumée d'encens et de vapeurs de myrrhe, en l'honneur de lui-même.
Afficher en entierAu cours de son enfance, il survécut à la rougeole, à la dysenterie, à la petite vérole, au choléra, à une chute de six mètres dans un puits et à une brûlure à l'eau bouillante de toute sa poitrine. Certes, il en garda des cicatrices, des crevasses et des escarres, [...]
Afficher en entierIl entendait devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l'univers, car qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le coeur des hommes.
Afficher en entier"Maintenant il sentait qu'elle était un être humain, il sentait la sueur de ses aisselles, le gras de ses cheveux, l'odeur de poisson de son sexe, et il les sentait avec délectation. Sa sueur fleurait aussi frais que le vent de mer, le sébum de sa chevelure aussi sucré que l'huile de noix, son sexe comme un bouquet de lis d'eau, sa peau comme les fleurs de l'abricotier… et l'alliance de toutes ces composantes donnait un parfum tellement riche, tellement équilibré, tellement enchanteur, que tout ce que Grenouille avait jusque-là senti en fait de parfums, toutes les constructions olfactives qu'il avait échafaudées par jeu en lui-même, tout cela se trouvait ravalé d'un coup à la pure insignifiance."
Afficher en entierVoici qu'un jour de mars, Richis était assis au salon et vit Laure sortir dans le jardin. Elle portait une robe bleue, sur laquelle retombait sa chevelure rousse, flamboyant au soleil : il ne l'avait jamais vu aussi belle. Elle disparut derrière une haie. Et elle mit peut-être deux secondes de trop, le temps de deux battements de cœur, avant de réapparaître : Richis éprouva une frayeur mortelle, car pendant ces deux battements de cœur, il avait cru l'avoir perdue à jamais.
Afficher en entierGrenouille jetait sur la ville de Grasse un regard très froid. Il n'était pas en quête de la terre promise des parfumeurs et son coeur n'était pas en train de fondre à la vue de cette bourgade accrochée à ses collines, de l'autre côté.
Afficher en entierJusque là, il avait toujours cru que c'était le monde en général qui le contraignait à se recroqueviller. Mais ce n'était pas le monde, c'était les hommes.
Afficher en entierTout le malheur de l'homme vient de ne pouvoir rester seul dans sa chambre, là où est sa place. [...] Rien de ce qu'on pensait n'est plus vrai, à les entendre; on a changé tout ça. Voilà que dans un verre d'eau nageraient de toutes petites bestioles qu'on ne voyait pas autrefois; et il paraît que la syphilis est une maladie tout ce qu'il y a de plus normale et non pas un châtiment de Dieu; lequel n'aurait pas crée le monde en sept jours, mais en des millions d'années, si du moins c'était bien lui; les sauvages sont des hommes comme nous, nos enfants, nous les éduquons de travers, et la terre n'est plus ronde comme naguère, elle est aplatie en haut et en bas comme melon - comme si ça avait de l'importance ! Dans tous les domaines, on pose des questions, on farfouille, on cherche, on renifle et on fait des expériences à tort et à travers. Il ne suffit plus de dire ce qui est et comment c'est : il faut maintenant que tout soit prouvé, de préférence par des témoins et des chiffres et je ne sais quelles expériences ridicules. Ces Diderot, d'Alembert, Voltaire, Rousseau et autres plumitifs dont le nom m'échappe [...], ils ont réussi ce tour de force de répandre dans toute la société leur inquiétude sournoise, leur joie maligne de n'être satisfaits de rien et d'être mécontents de toute chose en ce monde, bref, l'indescriptible chaos qui règne dans leurs têtes !
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