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Elle soupira avant de se laisser glisser dans ses bras. La joue posée sur son épaule, elle respirait son odeur. Elle était envahie par les émotions, et ne savait par où commencer. Le remercier, l’embrasser, l’étreindre jusqu’à ce qu’il comprenne combien elle l’aimait ! Elle aurait voulu tout faire à la fois, mais la pudeur la retenait ainsi que la peur. Tout cela semblait si irréel. Elle était allongée sur le matelas de Toru, on avait pansé ses plaies et lavé ses cheveux. Pourquoi était-elle là ? Sa place était dans sa chambre de domestique, non auprès de Toru. C’était comme vivre un rêve éveillé. On avait pris soin d’elle comme de la propre épouse du daimyo. Pourtant, elle n’était qu’une servante éperdument amoureuse de son maître.

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Le silence pesait sur l’armurerie. Tout semblait éteint, fauché par l’aura négative émanant de Toru. Son meilleur ami, Kyo, ne l’avait jamais vu dans un tel état. Il restait muet, de peur que le chef des armées ne s’empare d’un sabre et ne commette l’irréparable.

Kyo ne craignait pas pour sa vie, mais bien plus pour celle de l’homme avec qui il avait appris à monter à cheval et à se battre. Il lui suffisait d’un regard pour comprendre les tourments de son âme. Rares étaient les moments où Toru se confiait, toutefois quand son masque de neutralité tombait, ses traits parlaient pour lui.

La culpabilité le dévorait. Il avait failli à son rôle de protecteur, et Katsu était blessée. Le sang de sa bien-aimée maculait ses mains qu’il fixait d’un œil vibrant d’effroi. En tant que guerrier, il se pliait au bushido1. L’échec et la trahison en étaient exclus ; et tout samouraï qui se respecte devait se sacrifier s’il mettait son honneur en péril. Cette situation le plongeait dans le plus profond mal-être, car Toru se sentait pour la première fois lâche et fragilisé.

En tailleur sur un zabuton2, il restait immobile. Sans dire un mot, presque sans respirer. Le temps était suspendu, et l’angoisse augmentait à mesure qu’il plongeait en lui-même. Kyo espérait que ce moment permettrait à son ami de se remettre de ses émotions. Il fallait qu’il dépasse l’horrible stupeur dans laquelle il s’était muré depuis qu’ils avaient découvert, dans la pénombre des couloirs, les restes du combat qu’avait mené Katsu.

Il leur avait fallu une bonne heure pour nettoyer le sol maculé de traînées sanglantes, et à plusieurs reprises Toru s’était penché pour recueillir des mèches éparses de la chevelure de Katsu. Agenouillé au milieu du couloir, les mains posées sur le parquet ensanglanté, il s’était pétrifié. Depuis, son visage avait gardé l’expression de sa douleur et de sa rage.

L’air absent, Toru faisait tourner le couteau avec lequel Katsu avait tué Rintato. Kyo aurait pu compter les allers et retours de la lame tant ses mouvements étaient réguliers et hypnotiques. Tentait-il d’exorciser ses démons en l’observant ainsi ? Kyo s’apprêtait à le lui demander quand, d’un geste brusque, Toru enfonça le couteau dans le parquet.

— Tu ferais mieux d’arrêter de jouer avec, tu vas te blesser.

Toru tira la lame du plancher avant de la jeter contre le présentoir à sabres. La pointe se nicha dans le bois et trembla un instant.

— Parce que j’ai l’air de m’amuser ? rétorqua-t-il en allant récupérer le couteau.

Debout devant les armures alignées au mur, il ne détachait plus son regard de la lame tachée du sang de Rintato.

— Calme-toi, je disais cela uniquement pour te changer les idées.

— Je ne vois pas ce qui pourrait me faire penser à autre chose ! s’exclama-t-il en envoyant le couteau à l’autre bout de la pièce. Elle aurait pu mourir cette nuit, et je n’étais pas là pour la secourir.

— Il faut croire qu’elle était sous bonne garde, car elle a su précisément où planter sa lame pour tuer son chien de mari !

— Katsu a eu de la chance… Le médecin a dit qu’elle avait échappé de peu à la mort. Tu as vu sa gorge ? Tu as vu les traces sur sa peau ? Elle s’est certainement étouffée… Elle…

Il ne put finir sa phrase. Une main posée sur la bouche, il se mordit la paume pour se calmer.

— C’est de ma faute. Elle m’avait prévenu… j’étais trop sûr de moi, je pensais qu’il ne lui arriverait rien tant qu’elle vivrait sous mon toit.

Il se laissa glisser le long du mur et ferma les bras sur ses genoux.

— Elle m’avait dit que son mari était violent. Si seulement je ne m’étais pas cru invincible ! Je pensais qu’ici, il ne lui nuirait plus.

Kyo resta assis à sa place, son ami avait besoin d’une oreille attentive.

— Quand j’ai vu les blessures de Katsu, je n’ai eu qu’une envie, tuer Rintato. Je n’ai jamais autant souhaité la mort de quelqu’un.

— Et tu souffres de ne pas avoir été là cette nuit, n’est-ce pas ?

— Non, de ne pas l’avoir tué avant.

— Tu ne pouvais pas. Les gens auraient cru que tu abusais de ton pouvoir pour courtiser une femme mariée…

— Je sais ! répliqua Toru avec aigreur. Katsu le pensait aussi. Mais c’est stupide ! Je suis le daimyo, mon rôle est de veiller sur mes semblables.

— Sauf que tu aimes Katsu, et qu’en agissant ainsi tu aurais provoqué une émeute. Maintenant qu’elle est délivrée de son mari, tu pourras veiller sur elle et l’aimer librement.

— Et si on nous avait surpris cette nuit ? Le peuple réclamera justice pour Rintato, et je devrai condamner Katsu ! Je ne supporterai pas de la remettre en danger… Je ne suis pas digne de son amour.

— Ce n’est pas le genre de femme à avoir besoin d’une protection, elle te l’a prouvé en tuant son bourreau.

— Si quelqu’un venait à apprendre qu’elle a tué Rintato, sa mort serait inévitable. Qu’elle soit courageuse n’y changerait rien. Je devrais faire justice. Et l’exécuter, car elle a commis un crime.

— Pas si nous prenons les bonnes dispositions. Tu annonceras son décès à tes serviteurs afin qu’aucune rumeur ne se répande. Ne crains rien, la famille de Rintato est morte durant le massacre d’Umata. Tu n’auras aucun compte à rendre.

— Je devrais donc remercier les Okyo d’avoir décimé tout un village ? À croire qu’ils m’ont rendu un fier service !

— Oui, ils t’en ont rendu un, que tu le veuilles ou non. Bon sang, Toru ! Tu ne vas pas te morfondre indéfiniment ! C’était une tentative de meurtre, et entre les murs de ton château, ce genre de crime est puni de mort... Nous dirons que j’ai assisté à l’agression de Katsu et que j’ai tué Rintato.

Toru hocha doucement la tête.

— À ta place, j’adresserais une prière aux kamis3 pour avoir donné à Katsu la force de se défendre. Le décès de Rintato est une bénédiction. Tu devrais la retrouver et veiller sur elle maintenant. Ne reste pas ici à ressasser ce qui ne peut être changé.

Kyo se leva et tendit la main à son ami pour qu’il en fasse de même, cependant Toru l’ignora.

— J’ai tellement honte, murmura Toru dont les yeux brillaient de mille tourments.

— Elle courait vers ta chambre. Dis-toi bien que si elle allait vers toi, c’est parce qu’elle t’aime. Elle a besoin de toi maintenant, alors rejoins-la.

La gorge nouée, Toru luttait face à un déferlement d’émotions contradictoires. Il souhaitait retrouver Katsu, la serrer dans ses bras et ne plus la quitter. Or, une partie de lui était perdue dans le couloir où il avait trouvé son corps, inerte, maculé de sang. Sa dignité de guerrier s’était fissurée, rongée par la honte et le remords.

— Je n’étais pas là quand il a tenté de l’étrangler. Je n’étais pas là pour l’empêcher de la frapper.

— Oh si, tu étais là, répondit calmement Kyo. Sans toi, elle serait morte, sois-en assuré.

— Ne raconte pas de sottises, mon absence a permis à Rintato de lui nuire.

— L’amour lui a permis de trouver les ressources nécessaires pour se défendre.

Un étrange frisson parcourut la nuque de Toru. « Je vous aime. » Même blessée, Katsu s’était confiée sur ses sentiments. C’était bien l’amour qui l’avait sauvée. Alors pourquoi s’en voulait-il autant ?

— Retrouve-la, je crois que tu as bien plus besoin d’elle qu’elle de toi.

Le cœur de Toru s’emballa.

— Comment peux-tu affirmer cela ?

— Tu es mort de peur à l’idée de la perdre, elle est ton pilier, répliqua-t-il.

Le frisson s’intensifia jusqu’à parcourir tout le corps de Toru. C’était comme si quelqu’un s’était penché pour lui embrasser la joue et le rassurer. Il pensa aussitôt à sa mère. Dame Akimi aurait approuvé les paroles de Kyo. Elle avait toujours apprécié sa franchise et son intelligence.

Toru prit la main que lui tendait son ami et se leva.

— Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, le remercia-t-il en lui donnant l’accolade.

— Tu serais certainement en train de te morfondre. Quel cœur tendre tu fais !

— Le jour où tu trouveras une femme à la hauteur de Katsu, tu sauras ce qu’est la peur. Avant elle, j’étais capable de surmonter n’importe quelle bataille, mais ce que j’ai vécu cette nuit est bien plus éprouvant que tous les combats que j’ai menés dans ma vie.

— Alors veille sur elle, ce qui est précieux ne doit pas être délaissé.

Ils se séparèrent. Kyo se rendit dans la partie du château réservée aux serviteurs afin de les informer de la mort du jardinier, tandis que Toru rejoignait sa chambre où il avait laissé Katsu.

La boule au ventre, il poussa le panneau.

— Bonjour, Toru, déclara Akeko.

Estomaqué, il ne put faire un pas de plus. Assise derrière Katsu qui était endormie sur le tatami, Akeko tordait un linge au-dessus d’une bassine d’eau chaude. Son kimono bleu clair était éclaboussé d’eau savonneuse, ce qui créait un contraste avec sa chevelure soignée et son maquillage.

— Ne restez pas planté là, elle vous réclame dans son sommeil, dit-elle sans se retourner.

Toru retira ses sandales et entra dans la pièce. Il avait l’impression que ce n’était plus sa chambre. Tout avait changé. Katsu était étendue sous ses couvertures, et Akeko veillait sur elle avec une douceur déconcertante.

Il se rapprocha sans avoir le courage de rejoindre sa femme. L’odeur de Katsu imprégnait déjà ses draps. Il prit alors conscience qu’Akeko n’avait pas sa place dans cette couche et qu’il ne porterait jamais son parfum comme une seconde peau.

— Son sommeil est troublé, déclara Akeko. Elle souffre beaucoup.

Toru ne pouvait dire un mot. Voir Akeko dans une telle posture le mettait profondément mal à l’aise.

— Elle a besoin que vous soyez auprès d’elle. Approchez-vous.

— Ce serait inconvenant, parvint-il à articuler.

Elle se tourna et lui adressa un regard froid.

— Ignorer la femme que vous aimez est bien plus inconvenant que d’exposer votre amour devant moi. Venez, et soutenez-la !

— Vous pensez vraiment ce que vous dites ?

— Chacun de mes mots, répondit-elle en nettoyant le visage de sa rivale.

Il vint à côté d’elle et posa sa main tout près de celle de Katsu.

— Je vous ai mal jugée, dit-il en baissant la tête.

Akeko s’inclina à son tour, ce qui accentua le désarroi de Toru.

— Vous ne devriez pas être là, murmura-t-il. Je ne suis pas sûr que vous soyez à votre place.

— Et où voudriez-vous que je sois ? Devrais-je rester dans ma chambre à attendre un mari qui n’y mettra jamais les pieds ?

Toru ferma un instant les yeux pour se dérober tant le regard d’Akeko était accusateur. En aimant Katsu, il condamnait son épouse à une vie de solitude.

— Cessez de marcher sur des œufs, je sais très bien ce qui se passe entre vous. Je vous ai surpris avec elle dans la chambre secrète…

Elle leva les yeux vers lui. Son regard ne laissait voir aucune colère, aucune rancœur. Seule une immense douleur l’habitait.

— Akeko, je…

— Ne me demandez pas de vous pardonner, car vos excuses ne seront pas sincères. Vous l’aimez, c’est évident.

Tout en douceur, elle dénoua les cheveux de Katsu afin de les nettoyer. Toru rejoignit sa femme et lui prit la main. Elle tremblait.

— Pourquoi faites-vous cela ?

— Parce qu’il n’y a que de cette façon que j’obtiendrai votre respect. Voyez vous-même, il suffit que je m’occupe d’elle pour que vous m’adressiez la parole. Ce n’est qu’à travers elle que j’existe pour vous, alors à quoi bon la haïr si c’est pour être invisible à vos yeux ?

Toru ne savait plus quoi faire. Il aurait presque voulu la prendre dans ses bras afin de la réconforter et lui demander pardon. Il ne voyait plus qu’une femme fragile et vouée à la solitude.

— Rassurez-vous, je n’ai aucune colère contre vous, continua-t-elle sans cesser de brosser les cheveux de Katsu. J’aurais juste aimé qu’il en soit autrement… or, vous comme moi, nous savons que nous n’avions pas le choix.

Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Toru prit le temps de regarder sa femme dans les yeux. Ils étaient tristes et sans éclat, deux joyaux noirs noyés de larmes. Elle méritait aussi d’être aimée, mais Toru savait qu’il ne boirait pas l’eau de ses yeux pour la soulager. Il ne pouvait pas l’aimer. C’était au-dessus de ses forces.

— Nous n’étions pas destinés à nous aimer, dit-il tout en lui caressant le dos de la main. J’aurais tant voulu que vous ne souffriez pas.

— Même si vous êtes un guerrier, vous ne pouviez repousser l’amour que vous ressentez pour Katsu. Ce combat est perdu d’avance. Je ne peux demeurer près de vous alors que vos sentiments sont destinés à une autre.

— Vous avez raison. Je suis incapable de partager mon cœur… toutefois, je ne peux vous abandonner à une vie de solitude.

— Alors, acceptez que je vive un jour ma propre histoire. Promettez que vous ne m’empêcherez pas d’aimer l’homme qui m’arrachera à cette existence.

— Si j’ai goûté à cet amour au prix de votre propre solitude, il est naturel que je vous accorde cette même liberté.

Akeko remua doucement les lèvres comme si elle murmurait une prière silencieuse.

— Une dernière chose. Je ne veux pas que Katsu soit votre maîtresse. Ce serait un déshonneur pour ma famille d’apprendre que mon mari me trompe. Demandez-lui d’être votre concubine, cela sera bien plus accepté, d’autant plus qu’elle est infertile.

— Comment savez-vous cela ?

— Je vous ai vus, j’ai tout entendu. Si elle ne vous donne pas d’enfants, Katsu ne sera pas une menace pour les Kawa. Alors, faites-en votre concubine, et acceptez que je porte l’enfant d’un autre homme quand le moment sera venu.

— Attendez, votre requête est très grave. Vous voudriez que je reconnaisse l’enfant de votre amant comme étant le mien ?

— Ce sera la seule manière de ne pas salir ma famille. C’est le moins que vous puissiez faire ! Si vous ne pouvez me toucher, si votre cœur ne s’enflamme que pour Katsu, alors laissez-moi choisir l’homme avec lequel j’aurai un enfant, laissez-moi être votre femme en apparence et sauver l’honneur des Kawa !

Toru lui prit la main et la porta à ses lèvres.

— Je vous promets de vous honorer.

— Je crois que vous ne m’avez jamais parlé avec autant de sincérité.

— Vous êtes tout aussi sincère, murmura-t-il en rougissant. J’ai honte de vous avoir négligée, j’avais oublié que ce mariage était aussi douloureux pour vous.

Elle se leva et réajusta son kimono.

— Restez près d’elle et ne vous inquiétez pas pour moi, mon rôle est d’être votre épouse, et cela ne changera pas.

Toru s’inclina pour la remercier. Akeko n’y prêta pas attention. Elle fit coulisser le panneau et disparut dans le couloir.

La chambre lui parut minuscule. Il ne voyait plus que la femme étendue sur son tatami. Kyo avait raison. Il avait besoin d’elle, de l’étreindre afin de puiser force et courage dans la chaleur de sa peau.

Il s’allongea à côté de Katsu et l’entoura de ses bras. Pendant un instant, il resta silencieux afin de savourer le doux parfum de sa chevelure. Il n’écoutait plus que sa lente respiration, sereine et apaisante. Tout s’effaçait autour de lui.

— J’ai eu si peur de vous perdre, murmura-t-il en la serrant contre lui. Je m’en veux tellement.

Son visage enfoui dans les cheveux de Katsu, il étouffa un gémissement alors que les larmes lui mouillaient la peau.

— Toru…

Elle voulut se tourner vers lui mais il la retint doucement.

— Restez tranquille, conseilla-t-il.

— Je suis la seule à savoir ce dont je suis capable ou pas, dit-elle d’une petite voix. Je crois plutôt que vous préférez que je ne vous voie pas pleurer.

Toru s’écarta pour la laisser se tourner vers lui. Il n’eut pas le temps d’essuyer ses joues car Katsu posait déjà ses mains sur ces dernières.

— Vous n’avez pas à vous en vouloir.

— Katsu, vous n’êtes pas en…

— Chut, murmura-t-elle en aspirant une larme qui perlait au coin de son œil. S’il le fallait, je les boirais toutes afin d’effacer votre culpabilité.

Il déglutit difficilement tant il était touché par les mots de Katsu. Elle avait repris les siens avec une telle sincérité qu’il ne pouvait plus douter de la force de son amour.

— J’ai eu si peur de vous perdre.

— Je suis là, dit-elle tout en lui baisant le front. Vous ne m’avez pas perdue…

— Si vous n’aviez pas eu le courage de vous défendre, il vous aurait tuée. Kyo a retrouvé le corps de votre mari, il m’a dit combien vous étiez chanceuse de l’avoir frappé au bon endroit.

— Vous parlez de Rintato comme s’il était mort, constata-t-elle en fronçant les sourcils.

— C’est le cas. Le coup que vous lui avez porté était mortel. Autant dire que vous ne risquez plus rien.

Katsu ferma un instant les yeux et prit une profonde inspiration pour se calmer. Son cœur battait si fort qu’elle n’entendait plus les paroles de Toru. Elle l’avait tué. Depuis son adolescence, elle avait gardé le couteau sous son obi4 en se promettant qu’un jour il la délivrerait du joug de Rintato. Ce jour était arrivé sans qu’elle en ait une entière conscience. Qu’allait être sa vie à présent ? Allait-elle être jugée ?

Elle sentit les mains de Toru encadrer son visage, ce qui la fit revenir à la réalité. Son regard plongé dans le sien, il la fixait avec tendresse.

— Nous avons pris les mesures nécessaires. Officiellement, Kyo vous a sauvé la vie.

Elle soupira avant de se laisser glisser dans ses bras. La joue posée sur son épaule, elle respirait son odeur. Elle était envahie par les émotions, et ne savait par où commencer. Le remercier, l’embrasser, l’étreindre jusqu’à ce qu’il comprenne combien elle l’aimait ! Elle aurait voulu tout faire à la fois, mais la pudeur la retenait ainsi que la peur. Tout cela semblait si irréel. Elle était allongée sur le matelas de Toru, on avait pansé ses plaies et lavé ses cheveux. Pourquoi était-elle là ? Sa place était dans sa chambre de domestique, non auprès de Toru. C’était comme vivre un rêve éveillé. On avait pris soin d’elle comme de la propre épouse du daimyo. Pourtant, elle n’était qu’une servante éperdument amoureuse de son maître.

— Vous semblez soucieuse.

— Je… j’ai du mal à comprendre ce que je fais là. Akeko va être dans tous ses états si elle me trouve dans votre lit.

— Akeko s’est occupée de vous quand vous dormiez.

Katsu resta bouche bée, surprise d’entendre Toru prononcer le nom de sa femme sans une pointe d’animosité.

— Ce qui s’est passé cette nuit a bouleversé l’existence de plus d’une personne, murmura-t-il tout en lui caressant la joue. Akeko a accepté de vous laisser une place dans ma vie.

— Une place ?

— Si vous le désirez, vous serez ma concubine. Toutefois, il est encore tôt pour en parler. Vous devez vous reposer avant tout.

— Je… je ne veux pas vous partager, bégaya-t-elle au bord des larmes. Je ne veux pas que l’on me considère comme un second choix.

— Les concubines ont un statut tout aussi honorable que les femmes de daimyo, murmura-t-il pour la soulager. Vous aurez tout autant de droits que si vous étiez ma femme légitime.

— Pourquoi Akeko accepterait-elle cela ?

— Parce que je lui ai promis qu’en échange je ne la toucherais plus et qu’elle pourrait choisir l’amant qui la rendrait heureuse ; ainsi, que ce soit elle ou moi, nous pourrons chacun aimer librement la personne à qui notre cœur appartient.

Katsu avait le tournis tant elle était bouleversée. Tout ce dont elle avait rêvé devenait réalité, et pourtant elle refusait d’y croire et de se laisser aller. Après tout ce qu’Akeko lui avait fait subir, la perspective d’un tel changement lui faisait pressentir un terrible retour de flamme.

— N’y pensez plus, nous en reparlerons dès que vous serez sur pied. D’ailleurs, je dois vous quitter.

— Je pensais que vous resteriez, laissa-t-elle échapper.

— J’aimerais demeurer près de vous plus longtemps. Mon père va mal. Je crois... je crois qu’il ne lui reste plus que quelques jours à vivre, parvint-il à dire.

— Laissez-moi venir avec vous, dit-elle en essayant de se lever.

1

Le silence pesait sur l’armurerie. Tout semblait éteint, fauché par l’aura négative émanant de Toru. Son meilleur ami, Kyo, ne l’avait jamais vu dans un tel état. Il restait muet, de peur que le chef des armées ne s’empare d’un sabre et ne commette l’irréparable.

Kyo ne craignait pas pour sa vie, mais bien plus pour celle de l’homme avec qui il avait appris à monter à cheval et à se battre. Il lui suffisait d’un regard pour comprendre les tourments de son âme. Rares étaient les moments où Toru se confiait, toutefois quand son masque de neutralité tombait, ses traits parlaient pour lui.

La culpabilité le dévorait. Il avait failli à son rôle de protecteur, et Katsu était blessée. Le sang de sa bien-aimée maculait ses mains qu’il fixait d’un œil vibrant d’effroi. En tant que guerrier, il se pliait au bushido1. L’échec et la trahison en étaient exclus ; et tout samouraï qui se respecte devait se sacrifier s’il mettait son honneur en péril. Cette situation le plongeait dans le plus profond mal-être, car Toru se sentait pour la première fois lâche et fragilisé.

En tailleur sur un zabuton2, il restait immobile. Sans dire un mot, presque sans respirer. Le temps était suspendu, et l’angoisse augmentait à mesure qu’il plongeait en lui-même. Kyo espérait que ce moment permettrait à son ami de se remettre de ses émotions. Il fallait qu’il dépasse l’horrible stupeur dans laquelle il s’était muré depuis qu’ils avaient découvert, dans la pénombre des couloirs, les restes du combat qu’avait mené Katsu.

Il leur avait fallu une bonne heure pour nettoyer le sol maculé de traînées sanglantes, et à plusieurs reprises Toru s’était penché pour recueillir des mèches éparses de la chevelure de Katsu. Agenouillé au milieu du couloir, les mains posées sur le parquet ensanglanté, il s’était pétrifié. Depuis, son visage avait gardé l’expression de sa douleur et de sa rage.

L’air absent, Toru faisait tourner le couteau avec lequel Katsu avait tué Rintato. Kyo aurait pu compter les allers et retours de la lame tant ses mouvements étaient réguliers et hypnotiques. Tentait-il d’exorciser ses démons en l’observant ainsi ? Kyo s’apprêtait à le lui demander quand, d’un geste brusque, Toru enfonça le couteau dans le parquet.

— Tu ferais mieux d’arrêter de jouer avec, tu vas te blesser.

Toru tira la lame du plancher avant de la jeter contre le présentoir à sabres. La pointe se nicha dans le bois et trembla un instant.

— Parce que j’ai l’air de m’amuser ? rétorqua-t-il en allant récupérer le couteau.

Debout devant les armures alignées au mur, il ne détachait plus son regard de la lame tachée du sang de Rintato.

— Calme-toi, je disais cela uniquement pour te changer les idées.

— Je ne vois pas ce qui pourrait me faire penser à autre chose ! s’exclama-t-il en envoyant le couteau à l’autre bout de la pièce. Elle aurait pu mourir cette nuit, et je n’étais pas là pour la secourir.

— Il faut croire qu’elle était sous bonne garde, car elle a su précisément où planter sa lame pour tuer son chien de mari !

— Katsu a eu de la chance… Le médecin a dit qu’elle avait échappé de peu à la mort. Tu as vu sa gorge ? Tu as vu les traces sur sa peau ? Elle s’est certainement étouffée… Elle…

Il ne put finir sa phrase. Une main posée sur la bouche, il se mordit la paume pour se calmer.

— C’est de ma faute. Elle m’avait prévenu… j’étais trop sûr de moi, je pensais qu’il ne lui arriverait rien tant qu’elle vivrait sous mon toit.

Il se laissa glisser le long du mur et ferma les bras sur ses genoux.

— Elle m’avait dit que son mari était violent. Si seulement je ne m’étais pas cru invincible ! Je pensais qu’ici, il ne lui nuirait plus.

Kyo resta assis à sa place, son ami avait besoin d’une oreille attentive.

— Quand j’ai vu les blessures de Katsu, je n’ai eu qu’une envie, tuer Rintato. Je n’ai jamais autant souhaité la mort de quelqu’un.

— Et tu souffres de ne pas avoir été là cette nuit, n’est-ce pas ?

— Non, de ne pas l’avoir tué avant.

— Tu ne pouvais pas. Les gens auraient cru que tu abusais de ton pouvoir pour courtiser une femme mariée…

— Je sais ! répliqua Toru avec aigreur. Katsu le pensait aussi. Mais c’est stupide ! Je suis le daimyo, mon rôle est de veiller sur mes semblables.

— Sauf que tu aimes Katsu, et qu’en agissant ainsi tu aurais provoqué une émeute. Maintenant qu’elle est délivrée de son mari, tu pourras veiller sur elle et l’aimer librement.

— Et si on nous avait surpris cette nuit ? Le peuple réclamera justice pour Rintato, et je devrai condamner Katsu ! Je ne supporterai pas de la remettre en danger… Je ne suis pas digne de son amour.

— Ce n’est pas le genre de femme à avoir besoin d’une protection, elle te l’a prouvé en tuant son bourreau.

— Si quelqu’un venait à apprendre qu’elle a tué Rintato, sa mort serait inévitable. Qu’elle soit courageuse n’y changerait rien. Je devrais faire justice. Et l’exécuter, car elle a commis un crime.

— Pas si nous prenons les bonnes dispositions. Tu annonceras son décès à tes serviteurs afin qu’aucune rumeur ne se répande. Ne crains rien, la famille de Rintato est morte durant le massacre d’Umata. Tu n’auras aucun compte à rendre.

— Je devrais donc remercier les Okyo d’avoir décimé tout un village ? À croire qu’ils m’ont rendu un fier service !

— Oui, ils t’en ont rendu un, que tu le veuilles ou non. Bon sang, Toru ! Tu ne vas pas te morfondre indéfiniment ! C’était une tentative de meurtre, et entre les murs de ton château, ce genre de crime est puni de mort... Nous dirons que j’ai assisté à l’agression de Katsu et que j’ai tué Rintato.

Toru hocha doucement la tête.

— À ta place, j’adresserais une prière aux kamis3 pour avoir donné à Katsu la force de se défendre. Le décès de Rintato est une bénédiction. Tu devrais la retrouver et veiller sur elle maintenant. Ne reste pas ici à ressasser ce qui ne peut être changé.

Kyo se leva et tendit la main à son ami pour qu’il en fasse de même, cependant Toru l’ignora.

— J’ai tellement honte, murmura Toru dont les yeux brillaient de mille tourments.

— Elle courait vers ta chambre. Dis-toi bien que si elle allait vers toi, c’est parce qu’elle t’aime. Elle a besoin de toi maintenant, alors rejoins-la.

La gorge nouée, Toru luttait face à un déferlement d’émotions contradictoires. Il souhaitait retrouver Katsu, la serrer dans ses bras et ne plus la quitter. Or, une partie de lui était perdue dans le couloir où il avait trouvé son corps, inerte, maculé de sang. Sa dignité de guerrier s’était fissurée, rongée par la honte et le remords.

— Je n’étais pas là quand il a tenté de l’étrangler. Je n’étais pas là pour l’empêcher de la frapper.

— Oh si, tu étais là, répondit calmement Kyo. Sans toi, elle serait morte, sois-en assuré.

— Ne raconte pas de sottises, mon absence a permis à Rintato de lui nuire.

— L’amour lui a permis de trouver les ressources nécessaires pour se défendre.

Un étrange frisson parcourut la nuque de Toru. « Je vous aime. » Même blessée, Katsu s’était confiée sur ses sentiments. C’était bien l’amour qui l’avait sauvée. Alors pourquoi s’en voulait-il autant ?

— Retrouve-la, je crois que tu as bien plus besoin d’elle qu’elle de toi.

Le cœur de Toru s’emballa.

— Comment peux-tu affirmer cela ?

— Tu es mort de peur à l’idée de la perdre, elle est ton pilier, répliqua-t-il.

Le frisson s’intensifia jusqu’à parcourir tout le corps de Toru. C’était comme si quelqu’un s’était penché pour lui embrasser la joue et le rassurer. Il pensa aussitôt à sa mère. Dame Akimi aurait approuvé les paroles de Kyo. Elle avait toujours apprécié sa franchise et son intelligence.

Toru prit la main que lui tendait son ami et se leva.

— Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, le remercia-t-il en lui donnant l’accolade.

— Tu serais certainement en train de te morfondre. Quel cœur tendre tu fais !

— Le jour où tu trouveras une femme à la hauteur de Katsu, tu sauras ce qu’est la peur. Avant elle, j’étais capable de surmonter n’importe quelle bataille, mais ce que j’ai vécu cette nuit est bien plus éprouvant que tous les combats que j’ai menés dans ma vie.

— Alors veille sur elle, ce qui est précieux ne doit pas être délaissé.

Ils se séparèrent. Kyo se rendit dans la partie du château réservée aux serviteurs afin de les informer de la mort du jardinier, tandis que Toru rejoignait sa chambre où il avait laissé Katsu.

La boule au ventre, il poussa le panneau.

— Bonjour, Toru, déclara Akeko.

Estomaqué, il ne put faire un pas de plus. Assise derrière Katsu qui était endormie sur le tatami, Akeko tordait un linge au-dessus d’une bassine d’eau chaude. Son kimono bleu clair était éclaboussé d’eau savonneuse, ce qui créait un contraste avec sa chevelure soignée et son maquillage.

— Ne restez pas planté là, elle vous réclame dans son sommeil, dit-elle sans se retourner.

Toru retira ses sandales et entra dans la pièce. Il avait l’impression que ce n’était plus sa chambre. Tout avait changé. Katsu était étendue sous ses couvertures, et Akeko veillait sur elle avec une douceur déconcertante.

Il se rapprocha sans avoir le courage de rejoindre sa femme. L’odeur de Katsu imprégnait déjà ses draps. Il prit alors conscience qu’Akeko n’avait pas sa place dans cette couche et qu’il ne porterait jamais son parfum comme une seconde peau.

— Son sommeil est troublé, déclara Akeko. Elle souffre beaucoup.

Toru ne pouvait dire un mot. Voir Akeko dans une telle posture le mettait profondément mal à l’aise.

— Elle a besoin que vous soyez auprès d’elle. Approchez-vous.

— Ce serait inconvenant, parvint-il à articuler.

Elle se tourna et lui adressa un regard froid.

— Ignorer la femme que vous aimez est bien plus inconvenant que d’exposer votre amour devant moi. Venez, et soutenez-la !

— Vous pensez vraiment ce que vous dites ?

— Chacun de mes mots, répondit-elle en nettoyant le visage de sa rivale.

Il vint à côté d’elle et posa sa main tout près de celle de Katsu.

— Je vous ai mal jugée, dit-il en baissant la tête.

Akeko s’inclina à son tour, ce qui accentua le désarroi de Toru.

— Vous ne devriez pas être là, murmura-t-il. Je ne suis pas sûr que vous soyez à votre place.

— Et où voudriez-vous que je sois ? Devrais-je rester dans ma chambre à attendre un mari qui n’y mettra jamais les pieds ?

Toru ferma un instant les yeux pour se dérober tant le regard d’Akeko était accusateur. En aimant Katsu, il condamnait son épouse à une vie de solitude.

— Cessez de marcher sur des œufs, je sais très bien ce qui se passe entre vous. Je vous ai surpris avec elle dans la chambre secrète…

Elle leva les yeux vers lui. Son regard ne laissait voir aucune colère, aucune rancœur. Seule une immense douleur l’habitait.

— Akeko, je…

— Ne me demandez pas de vous pardonner, car vos excuses ne seront pas sincères. Vous l’aimez, c’est évident.

Tout en douceur, elle dénoua les cheveux de Katsu afin de les nettoyer. Toru rejoignit sa femme et lui prit la main. Elle tremblait.

— Pourquoi faites-vous cela ?

— Parce qu’il n’y a que de cette façon que j’obtiendrai votre respect. Voyez vous-même, il suffit que je m’occupe d’elle pour que vous m’adressiez la parole. Ce n’est qu’à travers elle que j’existe pour vous, alors à quoi bon la haïr si c’est pour être invisible à vos yeux ?

Toru ne savait plus quoi faire. Il aurait presque voulu la prendre dans ses bras afin de la réconforter et lui demander pardon. Il ne voyait plus qu’une femme fragile et vouée à la solitude.

— Rassurez-vous, je n’ai aucune colère contre vous, continua-t-elle sans cesser de brosser les cheveux de Katsu. J’aurais juste aimé qu’il en soit autrement… or, vous comme moi, nous savons que nous n’avions pas le choix.

Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Toru prit le temps de regarder sa femme dans les yeux. Ils étaient tristes et sans éclat, deux joyaux noirs noyés de larmes. Elle méritait aussi d’être aimée, mais Toru savait qu’il ne boirait pas l’eau de ses yeux pour la soulager. Il ne pouvait pas l’aimer. C’était au-dessus de ses forces.

— Nous n’étions pas destinés à nous aimer, dit-il tout en lui caressant le dos de la main. J’aurais tant voulu que vous ne souffriez pas.

— Même si vous êtes un guerrier, vous ne pouviez repousser l’amour que vous ressentez pour Katsu. Ce combat est perdu d’avance. Je ne peux demeurer près de vous alors que vos sentiments sont destinés à une autre.

— Vous avez raison. Je suis incapable de partager mon cœur… toutefois, je ne peux vous abandonner à une vie de solitude.

— Alors, acceptez que je vive un jour ma propre histoire. Promettez que vous ne m’empêcherez pas d’aimer l’homme qui m’arrachera à cette existence.

— Si j’ai goûté à cet amour au prix de votre propre solitude, il est naturel que je vous accorde cette même liberté.

Akeko remua doucement les lèvres comme si elle murmurait une prière silencieuse.

— Une dernière chose. Je ne veux pas que Katsu soit votre maîtresse. Ce serait un déshonneur pour ma famille d’apprendre que mon mari me trompe. Demandez-lui d’être votre concubine, cela sera bien plus accepté, d’autant plus qu’elle est infertile.

— Comment savez-vous cela ?

— Je vous ai vus, j’ai tout entendu. Si elle ne vous donne pas d’enfants, Katsu ne sera pas une menace pour les Kawa. Alors, faites-en votre concubine, et acceptez que je porte l’enfant d’un autre homme quand le moment sera venu.

— Attendez, votre requête est très grave. Vous voudriez que je reconnaisse l’enfant de votre amant comme étant le mien ?

— Ce sera la seule manière de ne pas salir ma famille. C’est le moins que vous puissiez faire ! Si vous ne pouvez me toucher, si votre cœur ne s’enflamme que pour Katsu, alors laissez-moi choisir l’homme avec lequel j’aurai un enfant, laissez-moi être votre femme en apparence et sauver l’honneur des Kawa !

Toru lui prit la main et la porta à ses lèvres.

— Je vous promets de vous honorer.

— Je crois que vous ne m’avez jamais parlé avec autant de sincérité.

— Vous êtes tout aussi sincère, murmura-t-il en rougissant. J’ai honte de vous avoir négligée, j’avais oublié que ce mariage était aussi douloureux pour vous.

Elle se leva et réajusta son kimono.

— Restez près d’elle et ne vous inquiétez pas pour moi, mon rôle est d’être votre épouse, et cela ne changera pas.

Toru s’inclina pour la remercier. Akeko n’y prêta pas attention. Elle fit coulisser le panneau et disparut dans le couloir.

La chambre lui parut minuscule. Il ne voyait plus que la femme étendue sur son tatami. Kyo avait raison. Il avait besoin d’elle, de l’étreindre afin de puiser force et courage dans la chaleur de sa peau.

Il s’allongea à côté de Katsu et l’entoura de ses bras. Pendant un instant, il resta silencieux afin de savourer le doux parfum de sa chevelure. Il n’écoutait plus que sa lente respiration, sereine et apaisante. Tout s’effaçait autour de lui.

— J’ai eu si peur de vous perdre, murmura-t-il en la serrant contre lui. Je m’en veux tellement.

Son visage enfoui dans les cheveux de Katsu, il étouffa un gémissement alors que les larmes lui mouillaient la peau.

— Toru…

Elle voulut se tourner vers lui mais il la retint doucement.

— Restez tranquille, conseilla-t-il.

— Je suis la seule à savoir ce dont je suis capable ou pas, dit-elle d’une petite voix. Je crois plutôt que vous préférez que je ne vous voie pas pleurer.

Toru s’écarta pour la laisser se tourner vers lui. Il n’eut pas le temps d’essuyer ses joues car Katsu posait déjà ses mains sur ces dernières.

— Vous n’avez pas à vous en vouloir.

— Katsu, vous n’êtes pas en…

— Chut, murmura-t-elle en aspirant une larme qui perlait au coin de son œil. S’il le fallait, je les boirais toutes afin d’effacer votre culpabilité.

Il déglutit difficilement tant il était touché par les mots de Katsu. Elle avait repris les siens avec une telle sincérité qu’il ne pouvait plus douter de la force de son amour.

— J’ai eu si peur de vous perdre.

— Je suis là, dit-elle tout en lui baisant le front. Vous ne m’avez pas perdue…

— Si vous n’aviez pas eu le courage de vous défendre, il vous aurait tuée. Kyo a retrouvé le corps de votre mari, il m’a dit combien vous étiez chanceuse de l’avoir frappé au bon endroit.

— Vous parlez de Rintato comme s’il était mort, constata-t-elle en fronçant les sourcils.

— C’est le cas. Le coup que vous lui avez porté était mortel. Autant dire que vous ne risquez plus rien.

Katsu ferma un instant les yeux et prit une profonde inspiration pour se calmer. Son cœur battait si fort qu’elle n’entendait plus les paroles de Toru. Elle l’avait tué. Depuis son adolescence, elle avait gardé le couteau sous son obi4 en se promettant qu’un jour il la délivrerait du joug de Rintato. Ce jour était arrivé sans qu’elle en ait une entière conscience. Qu’allait être sa vie à présent ? Allait-elle être jugée ?

Elle sentit les mains de Toru encadrer son visage, ce qui la fit revenir à la réalité. Son regard plongé dans le sien, il la fixait avec tendresse.

— Nous avons pris les mesures nécessaires. Officiellement, Kyo vous a sauvé la vie.

Elle soupira avant de se laisser glisser dans ses bras. La joue posée sur son épaule, elle respirait son odeur. Elle était envahie par les émotions, et ne savait par où commencer. Le remercier, l’embrasser, l’étreindre jusqu’à ce qu’il comprenne combien elle l’aimait ! Elle aurait voulu tout faire à la fois, mais la pudeur la retenait ainsi que la peur. Tout cela semblait si irréel. Elle était allongée sur le matelas de Toru, on avait pansé ses plaies et lavé ses cheveux. Pourquoi était-elle là ? Sa place était dans sa chambre de domestique, non auprès de Toru. C’était comme vivre un rêve éveillé. On avait pris soin d’elle comme de la propre épouse du daimyo. Pourtant, elle n’était qu’une servante éperdument amoureuse de son maître.

— Vous semblez soucieuse.

— Je… j’ai du mal à comprendre ce que je fais là. Akeko va être dans tous ses états si elle me trouve dans votre lit.

— Akeko s’est occupée de vous quand vous dormiez.

Katsu resta bouche bée, surprise d’entendre Toru prononcer le nom de sa femme sans une pointe d’animosité.

— Ce qui s’est passé cette nuit a bouleversé l’existence de plus d’une personne, murmura-t-il tout en lui caressant la joue. Akeko a accepté de vous laisser une place dans ma vie.

— Une place ?

— Si vous le désirez, vous serez ma concubine. Toutefois, il est encore tôt pour en parler. Vous devez vous reposer avant tout.

— Je… je ne veux pas vous partager, bégaya-t-elle au bord des larmes. Je ne veux pas que l’on me considère comme un second choix.

— Les concubines ont un statut tout aussi honorable que les femmes de daimyo, murmura-t-il pour la soulager. Vous aurez tout autant de droits que si vous étiez ma femme légitime.

— Pourquoi Akeko accepterait-elle cela ?

— Parce que je lui ai promis qu’en échange je ne la toucherais plus et qu’elle pourrait choisir l’amant qui la rendrait heureuse ; ainsi, que ce soit elle ou moi, nous pourrons chacun aimer librement la personne à qui notre cœur appartient.

Katsu avait le tournis tant elle était bouleversée. Tout ce dont elle avait rêvé devenait réalité, et pourtant elle refusait d’y croire et de se laisser aller. Après tout ce qu’Akeko lui avait fait subir, la perspective d’un tel changement lui faisait pressentir un terrible retour de flamme.

— N’y pensez plus, nous en reparlerons dès que vous serez sur pied. D’ailleurs, je dois vous quitter.

— Je pensais que vous resteriez, laissa-t-elle échapper.

— J’aimerais demeurer près de vous plus longtemps. Mon père va mal. Je crois... je crois qu’il ne lui reste plus que quelques jours à vivre, parvint-il à dire.

— Laissez-moi venir avec vous, dit-elle en essayant de se lever.

— Pas encore, il est trop tôt pour cela. Mangez un peu pour reprendre des forces. Je viendrai vous chercher quand vous vous sentirez mieux.

— Votre père a besoin de moi pour veiller sur lui.

— Vous l’avez soigné admirablement jusqu’ici, à mon tour de veiller sur lui. Je vais quérir Genki afin qu’il vous tienne compagnie…

— Et pour qu’il me surveille, n’est-ce pas ?

— Vu la façon dont vous aviez réussi à le convaincre de vous laisser me rejoindre dans ma salle de bains, je doute qu’il puisse vous retenir longtemps, répondit Toru.

Il lui baisa les lèvres avec douceur et se leva.

— Prenez le temps de vous remettre, votre plaie devrait rapidement cicatriser si vous restez allongée.

Il quitta la chambre, laissant Katsu seule, face à ses doutes.

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