Le passé sans visage

Prologue

— Oui. Oui, bien sûr. Entrez.

Elle était manifestement étonnée de le voir, sans pour cela se départir de son amabilité. Elle ressemblait indéniablement à son père, songea-t-il fugacement : le même port altier, le même regard vert et pétillant. Elle était ravissante, et il ne put s’empêcher de penser que c’était vraiment dommage.

Elle s’effaça pour le laisser entrer, et c’est alors que Joe Barnes apparut au fond du vestibule, l’air un peu plus détendu que de coutume. L’homme en pardessus noir s’avança vers lui et lui serra la main, sans retirer ses gants.

— Bonjour, Joe. Je présume que vous ne vous attendiez pas à ma visite ?

De nouveau, il éprouva une brève pointe de regret. Barnes était quelqu’un de précieux, à sa manière. Mais il n’y avait pas d’autre solution.

L’agent spécial en charge de la Division des affaires non résolues fixa son visiteur d’un air où la peur se mêlait à la détermination. Il avait déjà deviné la raison de sa venue.

— Je ne changerai pas d’avis, déclara-t-il, en jetant un regard inquiet en direction de sa femme. Mais ne pourrions-nous pas plutôt en discuter demain ?

— Cela ne prendra qu’une minute, dit l’homme en plongeant la main dans sa poche.

Les talons des escarpins d’Allison cliquetèrent derrière lui, sur les dalles de marbre italien.

— Puis-je vous débarrasser de votre manteau et de votre…

Avant qu’elle ait pu terminer sa phrase, l’homme sortit son revolver et abattit Joe d’une balle entre les deux yeux.

Allison se mit à hurler.

Il se retourna, prêt à lui appliquer l’arme sur la tempe. Mais, au lieu de se jeter sur le cadavre de son mari comme il s’y attendait, elle s’enfuit dans la direction opposée, vers le téléphone posé sur une console. Déjà, elle tendait la main vers l’appareil…

Jurant entre ses dents, l’assassin fit feu à deux reprises.

Elle sursauta violemment quand les balles s’enfoncèrent dans son dos. Puis elle tomba à genoux, avant de s’écrouler inanimée sur les dalles de marbre, ses cheveux acajou déployés autour d’elle comme une écharpe de soie.

Il se disposait à l’achever d’une balle dans la nuque quand le bruit strident d’une sirène de police transperça le silence de la nuit. Dans une maison voisine, des chiens se mirent à aboyer.

L’homme en pardessus noir ne pouvait pas se permettre de s’attarder un instant de plus. Il savait de façon précise combien de temps s’était écoulé depuis son arrivée. C’était sa précision et son sens minutieux de l’organisation qui l’avaient amené à la position qu’il occupait aujourd’hui. La présence inattendue d’Allison lui avait fait perdre trois précieuses secondes. Il devait partir immédiatement.

Contournant soigneusement la flaque de sang qui s’élargissait sous le corps de la jeune femme, il s’élança vers la porte. Avant de sortir, il rabaissa le bord de son chapeau sur son front et dissimula le bas de son visage dans son écharpe. Puis il monta dans une longue voiture de couleur sombre et démarra en trombe.