Le petit livre à offrir à un voyageur : à lire ici... ou bien ailleurs

Extrait de l'introduction

«En route, le mieux, c'est de se perdre. Lorsqu'on s'égare, les projets font place aux surprises et c'est alors, mais alors seulement, que le voyage commence.»

Nicolas Bouvier

Se perdre pour voyager, dit Nicolas Bouvier. C'est aussi ce que disait Christophe Colomb : «On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va.» Et on sait où ça l'a mené...

Se perdre. À l'époque des grandes découvertes, des continents inconnus et des voyages au petit bonheur la chance, soit ! Mais aujourd'hui, à l'heure des webcams qui donnent une image du bout du monde en temps réel et des quatre-vingts mille vols commerciaux par jour, comment serait-ce encore possible de chercher à se perdre ?

On dirait qu'il reste en l'homme d'aujourd'hui une nostalgie de l'époque où le monde n'avait pas encore été défriché. Le comble du tourisme : aller là où il n'y a encore personne. Marquer de ses pas la neige immaculée ou le sable blanc d'une plage déserte. «Heureux le touriste qui a tout vu avant l'arrivée des touristes», raille l'anthropologue Bernard Arcand. Pis encore, selon le chroniqueur Philippe Meyer : «Le tourisme consiste à amener des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux.»

C'est que, quand on dit «touriste», on pense tout de suite envahisseur bruyant et peu tolérant qui gâche le paysage. Personne ne se sent être un touriste. On se sent voyageur, globe-trotter, explorateur parfois ; on rêve d'être une petite souris qui passe inaperçue et se gorge les mirettes de la beauté et de l'étrangeté d'un lieu ou bien on projette des rencontres chaleureuses entre humains sainement curieux et bien intentionnés.

Mais pourquoi donc ? Que chercher ailleurs que l'on n'aurait pas déjà chez soi ? Probablement le vertige de la différence, tout simplement. Bousculer les prétendues évidences en les frottant à d'autres logiques. C'est bien dans ce sens que l'on dit des voyages qu'ils forment la jeunesse : d'un voyage, on ne revient jamais tout à fait le même que celui qu'on était avant de partir. Car il y a bien de cela, dans l'attrait pour les voyages : pas seulement la curiosité pour l'autre, mais aussi l'expérience qui fera de nous un homme neuf.

Tout voyage est un peu initiatique, est une quête d'identité. On mise de soi, on s'explore soi en même temps qu'on explore Tailleurs, on grandit, on s'ouvre, on change. On se perd, oui, peut-être, mais on se retrouve aussi. Probablement du fait du puissant sentiment de liberté. Voyager, jouer au nomade, c'est éprouver sa liberté. A chaque carrefour, la question se pose : à gauche ? à droite ? tout droit ? Mon bon vouloir en décide et, à chaque carrefour, donc à chaque choix, d'autres possibles s'annulent, et le voyage, unique, se dessine, comme un destin dont on aurait choisi le cours. Avec sa part énorme de hasard, qui est le garant du sentiment d'aventure.

À propos d'aventure, le voyage des années 2000 connaît un drôle de paradoxe : les circuits organisés n'ont plus la cote, les agences ferment, faute de clients, et pourtant les gens n'ont jamais autant bougé. C'est qu'Internet est venu, là comme ailleurs, redistribuer les cartes. La liberté du voyageur commence bien avant son départ, quand il prépare ce voyage, seul devant son écran. Plus d'obéissance à un tour-opérateur qui jouerait les guides, mais aussi les garde-fous : c'est hors des sentiers battus que le voyageur d'aujourd'hui veut poser ses pas. Hors piste, mais pas dans des culs-de-sac non plus, ce n'est pas un vagabond des années hippies : il veut bien jouer à prendre le temps, mais en fait il est pressé. Pressé d'aller vite là où il en aura pour son argent de dépaysement, de charme garanti, d'instants magiques.