Extraits

Pour moi un enfant autiste, je l’ai appris en entrant dans ton univers, c’est un peu le Petit Prince de Saint-Exupéry. Un Petit Prince qui habite une autre planète et qui lorsqu’il se met à parler pose souvent des questions sur la mort. Peut-être pose-t-il les vraies questions. Et trouve, parfois, les vraies réponses.

Un enfant qui parle tôt, au regard des gens et des institutions, est intelligent. Un enfant qui se tait indispose. La force du silence impressionne. Personne jusqu'à présent n'a eu véritablement envie d'entrer dans ton silence. Eux non plus ne veulent pas remettre en question leur mode de communication. Ils veulent que tu parles, que tu répètes leurs âneries. Ton mutisme les dérange mais plus encore ton obstination à te retenir de parler. Ils auraient vite fait de te traiter en débile. Et puis ils se sentent tellement rejetés par toi qui ne souris jamais qu'un jour ou l'autre, alors qu'ils étaient tout feu tout flammes, ils te tournent le dos et te placent au fond. Exactement au fond. C'est leur méthode. Ils t'isolent un peu plus.

La condition de la femme qui écrit tout en élevant ses enfants demande une virtuosité, une force qu'on ne peut guère imaginer. Les hommes qui écrivent ont souvent une femme qui leur prépare leur repas, leur café, s'occupe de leurs enfants. On éloigne la marmaille. On chuchote. On parle à voix basse quand on passe devant la porte du grand écrivain. Chut ! On glisse sur des patins de feutre. Surtout ne pas déranger. Moi, on m'appelle en plein labeur, au beau milieu d'une phrase, pour me demander si le repas est prêt. Je ne comprendrai jamais cette attitude de kangourou tragique que prennent certains hommes – je n’ai pas dit tous – devant un réfrigérateur plein. Même les plus intelligents ont un air buté, outragé et préfèrent ne rien manger plutôt que d’avoir à se servir seuls.

Pour apprendre à aimer et tenter de guérir un enfant autiste, c'est beaucoup plus simple de l'imaginer comme un Petit Prince. J'apprendrai ton langage. J'entrerai dans ton silence.

Voici des mois que j'appréhende de m'asseoir à la table de cette chambre, transformée en taudis depuis que j'y accumule des objets de brocante et de décharge. Je les regarde, les touche, les interroge, reculant ainsi l'heure d'écrire.

Je ne parlerai ici que de notre relation à tous les deux....Je n'exclus personne. Mais le jour où j'ai compris que tu étais enfermé dans cette folie muette qu'est l'autisme, j'ai aussi compris que ce serait à moi de t'en tirer.

Tu n’es sensible à aucun baiser, à aucune parole. En quelques secondes tout bascule vers l’horreur. Durant ces quatre années, il en sera ainsi. Comme après un cyclone, il me faudra sans trêve reconstruire….M’occuper de toi m’a modifiée profondément. J’ai l’impression d’avoir été incarcérée.