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J’étais en retard et Philippe m’attendait, clés en main, pour partir. Je ne lui ai pas parlé de ma rencontre avec Alexandre Lanier. Je sentais déjà l’inconséquence de ma décision, et mon mari peut être redoutable sur le terrain de la logique. Dans la voiture, mon fils Louis m’a entreprise sur Venus backwards dont il était un disciple fanatique. Assise à l’arrière à côté de lui, ma fille Véga faisait la gueule et compulsait son Instagram avec frénésie. Dans une maison de grande banlieue, la fête battait son plein sans elle, et c’était un cauchemar. Je me rappelle très exactement ce que j’ai ressenti à ce moment-là, au chaud dans l’habitacle qui sentait bon nos parfums mélangés. J’ai ressenti l’étrange, le paradoxal plaisir de ne pas partager un secret avec ceux qu’on aime.
Afficher en entierJe ne suis pas une beauté, c’est vrai, et j’ai quarante-cinq ans. En faisant quelques efforts, je pourrais donner le change. Être au moins une fausse belle dans le genre de ma sœur ou de mes cousines qui, comme moi, ont hérité l’ossature de déménageur et ce cul plat qui ornent le blason familial du côté maternel depuis que les photos existent pour l’attester. Ma mère m’a toujours dit : « Souris, c’est ton atout. » Suprême indélicatesse. La pauvre n’est pas une lumière et le tact ne lui a pas été donné de naissance. J’ai un beau sourire, certes, mais j’ai aussi de beaux yeux, ce qui n’est pas rien. Heureusement pour moi, la pénombre est l’alliée du marionnettiste, et sur scène, mon absence de charme ne me fait pas souffrir. J’ai pris acte de la déception de l’inconnu. La séduction serait hors sujet, ce qui, au fond, n’était pas pour me déplaire.
Afficher en entierMon père était un petit homme très brun, volubile et affairé. C’était une figure locale qui, hormis le maire, était le seul à pouvoir se vanter d’avoir marié tous les jeunes du bourg. Il avait un magasin de photo où il vendait des appareils et développait les pellicules. Il faisait également les albums de mariages dont il exposait les meilleurs clichés dans sa vitrine. Je le revois virevolter à la manière d’un photographe mondain autour de ses royautés d’un jour. Il donnait aux gens une importance qu’ils ne connaîtraient plus et rentrait de ses mariages aussi vidé qu’un comédien après les rappels. Je me demande parfois si assister chaque samedi au plus beau jour de la vie des autres ne l’avait pas à la longue bousillé.
Afficher en entierMon voisin me fixait en souriant.
D’un coup de coude, je me suis libérée de son étreinte. Puis d’une voix extraordinaire, profonde et théâtrale, il a crié :
- Donnez-moi une bonne raison, une seule, de ne pas me suicider cette nuit !
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