Extraits

- Fee, souffla Andross. Pardonne-moi pour cela. (Il effleura le trou.) J'avais tort. Comme lors de la plupart de nos disputes. Tu m'as fait mal en m'abandonnant ainsi. Je me suis senti trahi, mais je suis désolé. Je n'aurais pas dû t'interdire de participer à la Délivrance cette année. Oh, ma chérie, si tu pouvais être là pour me voir maintenant ! Un an de plus! Tu aurais pu attendre un an de plus, non? Mais je n'étais plus moi-même prisonnier de cette pièce. Je le sais. Je pensais que ma lumière s'éteindrait sans me laisser le temps de réaliser les promesses que je t'ai faites il y a si longtemps. J'ai besoin de toi, ma seule et unique. Ce que je pouvais accomplir avec une épée, tu pouvais l'accomplir avec un sourire. (Son doigt glissa sur la joue du portrait.) Je ne trouverai jamais plus quelqu'un comme toi.

- Quand mon unité a regagné Grand Jaspe, un navire était à quai. Un jeune seigneur en est descendu. Il s'est frayé un chemin à travers la foule des pèlerins avec beaucoup de... détermination. Il a dit qu'il se nommait Zymun.

Kip semblait au bord de la nausée, mais pas à cause des cartes.

Karris regardait son amie sans comprendre.

- Et alors?

- Karris, dit Samite. Zymun affirme qu'il est ton fils. Le Blanc souhaite te voir au plus vite.

- Je suis un Guile, grogna Kip sur un ton toujours agressif.

La réponse était imprudente, mais brillante. "Je suis un Guile" signifiait aussi : "Je suis un tricheur et allez vous faire foutre si ça ne vous plaît pas."

Curieusement, Karris ne le gifla pas. Son mauvais caractère était pourtant célèbre. Elle avait changé. Elle devenait plus douce avec l'âge. Et puis, le Blanc lui avait interdit de créer -tout le montant était au courant. Karris était une créatrice rouge et verte et cette abstinence forcée avait dû lui faire le plus grand bien.

Le visage de la jeune femme se figea et ses yeux s'assombrirent.

- N'oublie pas une chose, Kip : je suis désormais une Guile, moi aussi.

En fin de compte, peut-être que l'âge ne la bonifiait pas tant que cela.

- Vous n'êtes pas aussi tape-à-l'oeil que lui.

Elle éclata de rire.

- Kip, sais-tu à quel point tu es beau? Tu comprends le monde avec ton coeur. Il y a un temps pour se réjouir, pour savourer la gloire méritée et la gloire accordée. Mais la vanité n'est que théâtre. Et il se trouve que mon amour des spectacles est célèbre. C'est sans doute pour cette raison que je suis attirée par toi.

- Par moi? Je ne suis qu'un simple miroir. Et je... je crois que je suis en train de mourir.

- Le Briseur, sais-tu de combien de manières je pourrais te mutiler avec cette plume?

- Non, monsieur.

- Est-ce que tu as envie de le découvrir?

- Seulement si la leçon reste dans le domaine de la théorie et n'inclut pas de travaux pratiques, monsieur.

Les coins des lèvres de l'officier se levèrent imperceptiblement, mais Kip se demanda s'il n'avait pas été victime de son imagination.

- Ton père a décidé que Gavin serait Prisme, mais Orholam t'a préféré. Est-ce que cela ne te dit rien ? demanda le vieil homme assis à son côté.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Un misérable, un incapable et un gros lard qui avait - dans une certaine mesure - tué un roi, sauvé le Prisme et terrassé un dieu. Ce n'était pas trop mal pour un patapouf. La vache, il avait même réussi à rouler Andross Guile!

- Unité Teth, dit Poing-de-fer en s'adressant à la neuvième unité. Qu'avez-vous appris aujourd'hui ?

- On a appris qui vous étiez un putain de guerrier, marmonna quelqu'un.

Mais sa voix porta plus loin que prévu.

Tout le monde se figea en comprenant que le commandant avait entendu.

- Unité Teth, les Gardes noirs savent garder leurs langues. Une heure de course !

Des gémissements et des grognements discrets montèrent du petit groupe. Les élèves baissèrent la tête d'un air abattu.

Poing-de-fer les regarda pendant un instant.

- Moins trente minutes, parce que je suis un putain de guerrier.

- Vous ne me toucherez pas, déclara Karris en regardant droit devant elle.

Elle avança la tête haute. La force de sa personnalité précédait sa petite silhouette comme une lame de fond.

- Vous ne m'adresserez même pas la parole, ajouta-t-elle.

Et personne ne lui parla.

- Tu as d'autres armes ici? Ca risque de chauffer. Le Blanc est en danger. Je suis sans doute la seule qui puisse le sauver.

Tisis prit la parole.

- Je suis sûre qu'une créatrice daltonienne est exactement ce qu'il faut à la Garde noire pour...

Teia pointa le doigt vers elle, puis elle approcha si près que leur nez faillirent se toucher.

- Encore un mot, la peluche. Allez. Donne-moi une excuse. Le Briseur, on y va. Maintenant! Prends tes trucs!