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UN ÉTERNUEMENT FATIDIQUE

Ben Holiday poussa un soupir las. Il aurait donné cher pour être ailleurs. N’importe où, mais ailleurs.

Le jardin d’hiver était pourtant, de toutes les pièces du château, celle que Ben Holiday préférait. Avec ses hautes croisées à multiples lancettes orientées plein sud, elle était claire, aérée, inondée de soleil. De petites particules de pollen dansaient dans la lumière dorée. De longues rangées de jardinières fleuries s’entrecroisaient sur le sol dallé en une éblouissante mosaïque chamarrée. De délicieux parfums s’immisçaient par les fenêtres à meneaux ouvertes sur le parc, avalanche de fleurs et d’arbustes décoratifs qui cascadait jusques au lac dont le château semblait jaillir, telle une Excalibur d’argent. Les plantes s’autofécondant spontanément avec une scrupuleuse régularité, les jardins étaient en fleurs tout au long de l’année et d’une luxuriance diaprée digne d’une toile impressionniste. Dans l’autre monde – le monde dont Ben Holiday était issu – plus d’un horticulteur aurait tué père et mère pour admirer ce spectacle enchanteur.

Pour l’heure, Ben aurait, quant à lui, volontiers occis l’humanité au grand complet pour y échapper.

— … Très Noble Seigneur…

— … Très Puissant Seigneur…

Les sempiternelles jérémiades lui vrillaient les nerfs, comme l’insistant crissement d’une craie sur un tableau noir. Il leva les yeux au ciel. Par pitié ! supplia-t-il intérieurement, lorgnant de jardinière en plate-bande et de plate-bande en jardinière, comme si les minuscules pétales multicolores recelaient quelque salutaire échappatoire. Peine perdue, bien sûr, et Ben s’affaissa dans les coussins de son fauteuil d’osier, terrassé par l’iniquité du sort qui s’acharnait si férocement contre lui. Non pas qu’il tentât de se dérober à ses obligations de souverain ; mais, bon sang ! Cet endroit n’était-il pas son ultime refuge ? N’était-il pas censé y trouver la paix ?

— … et ont pris toutes les baies que nous avions eu tant de peine à récolter.

— Et tous nos fûts de bière, en plus !

— Alors que nous n’avions fait qu’emprunter quelques poules, Noble Seigneur.

— Nous nous serions empressés de remplacer les égarées, Puissant Seigneur.

— Nous n’avions que d’honnêtes intentions.

— On ne peut plus honnêtes !

— Vous ne pouvez laisser un tel crime impuni, Noble Seigneur !

— Oui, Puissant Seigneur, il est de votre devoir…

Et les récriminations s’enchaînaient indéfiniment, sans que ni l’une ni l’autre de ces deux pies-grièches ne cesse de s’égosiller pour reprendre son souffle.

Ben examinait Fillip et Sott, comme un jardinier les mauvaises herbes envahissant ses parterres. Avec l’incroyable sans-gêne qui les caractérisait, les Gnomes Cavernicoles jacassaient à perdre haleine.

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"Comment faire preuve d'objectivité - ou tout au moins de compassion - quand on savait, avant même que ces deux sacripants n'ouvrent la bouche, qu'ils étaient au moins aussi coupables du forfait incriminé que le malheureux bouc émissaire auquel il s'empresseraient de faire porter le chapeau".

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