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Chapitre 1

De la mer à l’océan.

Syrine sortit de la boucherie et se précipita vers les toilettes publiques dix mètres plus loin.

Dès qu’elle fut enfermée dans un box, elle déballa la cervelle de veau qu’elle venait d’acheter et mordit dedans à pleines dents. La chair crue, froide et humide lui donna des haut-le-cœur, mais, alors que son esprit comme son palais se révulsaient, son instinct l’empêcha de vomir et la força à prendre une autre bouchée, puis encore une, et encore une.

La viande disparut en l’espace de quelques minutes. La jeune fille n’avait même pas pris la peine de s’asseoir et laissait ses larmes couler librement sur ses joues. C’était la deuxième fois qu’elle faisait ça, et ça l’écœurait toujours autant. Mais elle ne pouvait plus s’en passer.

C’était dégoûtant.

Dégueulasse. Péché. Bête immonde. Monstre.

Bon, si bon. Besoin. Viande, sang. Encore plus.

Alors que le papier d’emballage disparaissait dans la poubelle à côté de la cuvette, l’adolescente s’essuya le visage. Après un nettoyage sommaire, elle sortit un mouchoir et l’humecta au lavabo. Elle le passa sur ses lèvres, puis sur ses dents pour éliminer les dernières traces de sang.

« Aïe ! »

Bizarre, ses canines étaient devenues sacrément plus pointues qu’avant !

Alors qu’elle s’apprêtait à vérifier dans le miroir fêlé des sanitaires, un « bip bip » insistant la força à regarder l’heure.

« Merde, je vais être en retard ! »

Elle rangea son paquet de Kleenex en toute hâte et, sans prendre le temps de refermer son sac, se rua à l’extérieur. Pour son premier jour dans son nouveau lycée, mieux valait éviter de se faire remarquer.

***

Syrine pénétra dans l’enceinte du lycée1 Anne de Bretagne avec l’impression de marcher dans le couloir de la mort. L’endroit était pourtant plus cool que son précédent établissement, perpétuellement en travaux et dont la cour jouxtait la gare principale de Marseille.

Ici, les vieilles pierres s’harmonisaient avec les grandes baies vitrées. Les bâtiments s’échelonnaient sur différents niveaux, parsemés de cours, d’espaces verts et d’escaliers. À gauche, une chapelle dressait son clocher. Même en ce milieu d’hiver glacial et humide, le complexe parvenait à conserver une ambiance chaleureuse et conviviale, en partie due à des murs peints de couleurs gaies – ocre, orange, rouge – et à la profusion de plantes vertes qui ornaient l’accueil central.

Pendant le week-end, la jeune fille était déjà venue repérer les environs et avait remarqué que le lycée bordait le parc du Thabor. Presque déçue d’avance, elle avait alors demandé à ses parents si elle pourrait y aller pendant ses heures libres et avait appris, à son grand étonnement, qu’ils l’avaient inscrite comme externe, pour qu’elle ait plus de liberté. Ça l’avait rassurée : si elle ne se faisait pas d’amis, elle aurait au moins un refuge.

Bien sûr, elle se doutait que son transfert en milieu d’année scolaire ne se ferait pas sans douleur, mais elle n’avait pas réalisé à quel point elle se sentirait dévisagée et jugée dès son entrée dans la cour.

Sauf qu’elle était la seule Arabe de sa classe, et presque la seule « étrangère » du lycée. Elle avait croisé deux autres filles café au lait et un mec au teint bien foncé aussi, mais ils avaient plus l’air d’être d’origine hindoue pour le garçon et africaine pour les filles, que beur. Pourtant, il y avait plusieurs Asiatiques au bahut, et elle avait à plusieurs reprises entendu parler arabe en ville, mais apparemment, le quartier ne se prêtait guère à la mixité.

Alors qu’elle pénétrait dans le couloir menant à l’administration, elle put remarquer que non seulement certains élèves la fixaient sans aucune gêne, mais qu’ils s’arrêtaient même de parler pour reprendre aussitôt derrière elle, d’une voix stridente et surexcitée. Une bulle de silence semblait la suivre pas à pas.

Ou c’est la nouveauté, ou ils ont vraiment jamais vu d’Arabe à part à la télé ! Si ça se trouve, ils doivent croire qu’être beur, c’est une maladie contagieuse… se dit-elle avec fatalisme.

Finalement, après quelques minutes d’hésitation devant une porte rébarbative indiquant « Mollard – C.O. », elle prit son courage à deux mains et frappa. Une voix brusque l’invita à entrer.

« Mademoiselle Kaharib, c’est bien ça ? » Le conseiller d’orientation affichait une barbe digne du capitaine Haddock, mais arborait, au lieu de sa jovialité bourrue, une expression de rejet, comme si, à force d’en fréquenter, il en était venu à détester les élèves.

Syrine hocha la tête.

« Bien. Je vais être bref. Asseyez-vous.

Je vais me montrer franc avec vous. Nous n’aimons pas les transferts en cours d’année. Cela perturbe tout le monde. Nous avons fait une exception pour vous à la demande de Concepticare, l’employeur de votre père, qui est en liens étroits avec nous. »

Syrine était interloquée. En quoi ça les concernait, son changement de lycée ? C’était déjà assez bizarre qu’ils leur procurent un appart – même si ses parents lui avaient déjà dit que cela se passait ainsi dans les grandes firmes, et qu’ils avaient beaucoup de chance d’en profiter. Mais là, ça n’avait carrément rien à voir ! Avaient-ils aussi déniché le boulot de Lahsen dans une agence de tourisme et le stage en ébénisterie de Jawad ?

« Malgré tout, nous avons pris soin de faire suivre votre dossier scolaire, mademoiselle Kaharib, et nous avons remarqué plusieurs points inquiétants. Vous voyez de quoi je parle ? »

Oh oui, Syrine savait très bien à quoi monsieur Mollard faisait allusion !

« Vous savez, monsieur, ça ne s’est pas du tout passé comme c’est indiqué. Jawad n’est pas un bagarreur et il ne s’est battu que pour me défendre… on m’avait traitée de…

— … de “sale Arabe”, je sais. J’ai appelé votre ancien établissement pour avoir des précisions quand j’ai vu cet… incident », la coupa le conseiller avec une moue agacée.

« Là n’est pas la question. Les insultes sont inadmissibles, particulièrement celles à visée raciste. Toutefois, en venir aux mains est tout aussi inexcusable et je tiens à vous avertir d’emblée qu’un tel comportement ici vous vaudra une exclusion immédiate et définitive. Tout comme les absences injustifiées… »

Là, il parlait de sa fugue, qui n’avait pourtant duré que dix jours, mais lui avait fait manquer les cours trois semaines…

« Nous ne tolérerons pas ce genre de… d’épisode. Quelle que soit la protection dont vous bénéficiez. Est-ce bien clair ? »

Syrine acquiesça, la gorge sèche.

« Mon collègue du lycée Saint-Charles m’a également parlé de vos sautes d’humeur et des problèmes de santé que vous avez semblé avoir eus au cours des dernières semaines de votre cursus… »

La jeune fille sentit une sueur glacée couler le long de son échine.

« D’après lui, vous auriez eu des petits malaises qui vous auraient fait manquer les cours de sport. Des douleurs… féminines, c’est cela ? Toutes les deux semaines ? »

Syrine opina, les mains crispées sur le rembourrage des accoudoirs. Ses règles avaient été un prétexte parfait pour faire sauter l’EPS. Elle n’aurait jamais imaginé que quelqu’un pourrait en remarquer la fréquence et le marquer sur son dossier. Pourvu qu’ils n’aient rien remarqué d’autre… comme le raid qu’elle avait fait dans le réfectoire pour y gober, entre deux services, un plat entier de steaks hachés à peine cuits. Elle ne pouvait y repenser sans avoir envie de vomir… ou d’en manger encore. Le sang, interdit par le Coran, avait eu un goût à la fois écœurant et exquis, assaisonné par le sel de la honte. Même si elle était athée depuis ses treize ans, elle s’était toujours conformée à certains principes de l’Islam, notamment l’interdiction de manger de la viande rouge, plus parce que ça la dégoûtait que par désir de se rattacher à une foi. Dans la famille, seuls son père et ses frères étaient musulmans. Sa mère était catholique non pratiquante et ses sœurs n’avaient pas de convictions religieuses, comme elle. Mais le fait d’avoir ces envies sanguinolentes l’avait forcée à se reposer la question de son identité, et celle la foi. Peut-être parce qu’elle doutait tant d’elle-même, elle avait besoin de pouvoir se rattacher à ses racines, ne seraient-ce que culturelles. Mais elle avait fini par ne plus respecter les préceptes culinaires de l’Islam, trop dévorée par son envie de viande rouge pour pouvoir encore se contenter des préparations halal. De toute façon, elle n’avait jamais porté le voile non plus, à part pendant quelques semaines quand elle avait douze ans, et uniquement par esprit de provocation, car une autre élève, musulmane très pratiquante, avait été expulsée du collège pour avoir refusé d’enlever le sien. Au bout de trois semaines, son propre père lui avait dit d’arrêter : il ne supportait pas qu’elle affiche les signes d’une religion qu’elle ne pratiquait pas. Cela lui aurait pourtant fourni un très bon prétexte pour sauter le sport… Depuis, elle n’avait plus cherché à se conformer à une foi qui n’était pas la sienne.

Quelqu’un avait-il également remarqué les crispations qui la forçaient à se courber comme une petite vieille, ou les fréquentes crises qui l’empêchaient de respirer normalement ? Et les cauchemars éveillés qui la faisaient parfois hurler en plein cours – voire en plein milieu d’une conversation – sans qu’elle sache pourquoi ?

« J’imagine que vos parents vous ont amenée chez un médecin, n’est-ce pas ? » Sans attendre la réponse, il continua. « Je vais donc partir du principe que vos… petits écarts de conduite étaient dus à ces problèmes qui appartiennent maintenant au passé. Mais sachez qu’au moindre souci, j’avertirai l’assistante sociale.

Comme vous avez pu le remarquer, nous n’avons pas beaucoup d’élèves… de couleur, ici. Et ceux que nous avons étaient déjà ici en primaire et sont bien intégrés à notre cursus. Vous représentez la nouveauté, en quelque sorte. J’ose espérer que vous serez capable de prouver à tous que la valeur ne prend ni les origines, ni la couleur de peau en compte. Nous souhaitons, en fait, que votre arrivée ici soit pour vous l’occasion d’un nouveau départ, dans un nouvel environnement peut-être plus adapté que le précédent à vos besoins spécifiques. Nous sommes-nous compris ? »

Syrine opina, la gorge sèche. Un nouveau départ, c’était tout ce qu’il lui fallait. Mais sous la menace de l’assistance sociale, de visites médicales et de confrontations avec ses parents, ça n’allait pas être facile !

À l’orée de son champ visuel, un mouvement attira son attention. Elle tourna la tête : rien. Juste un pot de fleurs. Mais elle avait cru voir une ombre noire, palpitante, comme si une chauve-souris s’était posée un instant sur le vase avant de se renvoler. Il n’y avait pas eu de son, juste le noir. Syrine frissonna et se concentra derechef sur son interlocuteur. Le conseiller avait suivi son regard mais, ne voyant rien, poussé un soupir retentissant, sans doute vexé par son apparent manque d’attention. Alors qu’il allait repartir dans un nouveau discours, la cloche retentit, vacarme familier et rassurant.

« Bon, nous n’avons plus beaucoup de temps. Voici votre emploi du temps, un plan de l’établissement, et la liste des professeurs et des livres qu’il vous faudra. À présent, dépêchez-vous d’aller en cours et essayez de ne pas bayer aux corneilles ! »

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Prologue

Samedi 13 janvier 2009 – journal

En attendant d’avoir à nouveau Internet, j’ai décidé de reprendre mon journal.

Je pensais que ce déménagement serait l’occasion de repartir sur de bonnes bases, mais ça ne se passe pas du tout comme je l’espérais. En fait, c’est pire qu’avant. À Marseille, j’avais au moins mes copines, mais là, j’ai plus personne.

Le seul point positif, c’est que les cauchemars ont cessé. Je n’ai plus entendu le battement d’ailes depuis qu’on s’est installés ici et je ne me suis plus réveillée en hurlant. J’ai quand même l’impression d’être surveillée en permanence, mais je pense que ce sont les récits de ma jadda qui m’ont marquée. Comme un gosse : on me raconte une histoire et j’en dors plus pendant des mois. N’empêche, ces visions de la femme-djinn étaient sacrément effrayantes, avec ses crocs pleins de sang et ses grandes ailes. Sans parler de ses pieds fourchus. Argh, le truc anti-sexy à mort !

Bref, avec tout ça, j’ai pas vérifié mon problème pendant deux semaines. Mais aujourd’hui, maman a déballé mon miroir. Je l’avais enfoui au fond d’un carton, en vrac, en espérant qu’il se briserait, et m’étais bien gardée d’y toucher, mais ma mère est pire que maniaque et une fois qu’elle a commencé à vider les paquets, j’ai pas pu l’empêcher de finir ceux que j’avais laissés de côté, qui me rappelaient mon ancienne vie. Et j’ai eu beau lui dire qu’à mon âge, c’est bon, je suis plus une gamine, je pouvais le faire moi-même, elle a insisté pour accrocher le miroir dans ma chambre, pile là où je peux pas manquer de me voir dedans. Et donc, je me suis vue.

C’est pire que tout.

Je voudrais mourir.

Enfin, non, c’est pas vrai.

Je voudrais pouvoir prendre un couteau et couper dedans. J’aimerais me réveiller et voir que c’était un cauchemar. Je voudrais oublier ces derniers mois.

J’arrête pas d’avoir envie de viande. Crue, vivante. Si au moins je pouvais me contenter de viande halal, ça irait, mais je rêve de sang. Ça aussi, ça empire. Je vais finir par craquer. J’imagine le goût dans ma bouche, la sensation dans ma gorge. Rien que d’y penser, je me sens crade, je suis certaine que si j’en parlais à un imam, il dirait que je suis maudite. En même temps, ça fait des années que je suis plus allée à la mosquée, je vois pas pourquoi j’y retournerais maintenant.

Je me déteste. Et je sais que dans ce nouveau lycée, les gens verront que je suis pas normale. Et ils me détesteront aussi.

Le pire, c’est de ne pas savoir ce qu’il m’arrive. Peut-être que je deviens folle. Du coup, j’ai peur d’en parler.

C’est pour ça que j’ai repris ce journal. Parce que sinon, je crois que je craquerais.

J’ai trop besoin de me confier à quelqu’un, même pour parler d’autre chose… j’aimerais que quelqu’un m’écoute, tout simplement.

C’est trop demander ?

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