Le secret d'Emma M .

C'en était trop.

Emma quitta la table, sortit sur la terrasse, la traversa de sa démarche légère, sa robe estival virevoltant sous ses pas, et emprunta l'allée du jardin. Tout comme sa maison luxueuse, Arian possédait un jardin aux dimensions de petit parc, où les cyprès s'élançaient en fuseau sur un gazon entretenu avec soin par une tonte régulière et par des jets d'eau qui l'abreuvaient en soirée. Emma passa entre les gouttelettes rafraîchissantes, longeant un kiosque en bois peint en blanc et drapé de lierre rampant.

Dans la soirée de juillet où expiraient les dernières lueurs du jour, elle fut étonnée de reconnaître le chant d'un grillon. Certainement un audacieux qui avait su s'adapter à l’intransigeance de l'agglomération. Elle s'appuya sur un petit muret en pierres, pour se confondre avec les étoiles qui commençaient à scintiller, l'une après l'autre.

Un pas se fit entendre derrière elle.

-Emma.

Colyn lui posa la main sur l'épaule :

-Tu ne veux plus être avec nous ?

-Tu m'a l'air assez occupé, répondit-elle sans réfléchir.

Les mots étaient sortis tous seul.

Le jeune homme cogita un instant.

-C'est cette fille, c'est ça ?

Au moins, c'était direct. Elle eut honte de sa jalousie et s'empressa de répondre, pour ne pas se trahir :

-Ne fais pas attention à moi, je dois être fatiguée.

Colyn laissa un silence. Puis il demanda à mi-voix, avec lenteur :

-Emma... est-ce que ça te fais souffrir ?

-N...non, non, assura-t-elle en se dérobant à son regard.

Il se rapprocha d'elle jusqu'à la frôler, en demandent à voix basse:

-C'est la vérité ?

Il était si proche, et il s'était exprimé avec un tel accent que le cœur d'Emma battit à coups précipités. Sur le petit muret, il couvrit doucement de sa main celle de la jeune femme, mais elle la retira dans la crainte de s'illusionner sur les intentions de l'acteur.

-Pourquoi est-ce que tu t'en soucierais ? le défia-t-elle en s'écartant d'un pas.

-Pourquoi ? répéta Colyn.

Il n'y tint plus.

-Mais tu sais très bien, POURQUOI ! Tu sais très bien, depuis la première fois où je t'ai vue, un soir de débuts de juillet, trempée, les vêtements dégoulinants, les cheveux arrosés, le visage rayonnant, les yeux rêveurs; tu sais très bien, depuis le premier regard, depuis la première parole, tu sais sais très bien, que depuis ce jour-là, consciemment ou non, je n'ai plus été libre pour personne ! Depuis ce jour-là, tu m'a ensorcelé, tu m'as ensorcelé, tu m'a volé mon cœur et je ne veux pas le reprendre, jamais !

Il s'arrêta, pantelant, la saisit avec emportement par les épaules, et s'exclama, enflammé, en plongeant ses yeux dans les siens:

-Je t'aime, je t'aime, je t'aime, Emma !