Le Secret des diamants

Chapitre 1

Walter Parks reçut l'appel sur sa ligne privée. Il était seul ce jour-là, dans son bureau, dont le luxe discret et raffiné reflétait l'ambiance sophistiquée de sa maison de joaillerie haut de gamme.

— Oui ? lança-t-il sans préambule en s'emparant du combiné.

Sans qu'un muscle de son visage ne bouge, il écouta le message de son interlocuteur. Puis il posa une seule question :

— Vous êtes sûr ?

— Absolument, monsieur Parks, dit l'autre. Morte et enterrée.

De la pointe de son stylo, Walter pianota sur le bois précieux de sa table de travail.

— Très bien. Faites-moi parvenir une copie du certificat de décès.

— A votre bureau ?

Il soupira avec impatience.

— Ne soyez pas stupide. Vous avez l'adresse de ma boîte postale, il me semble ?

Depuis vingt-cinq ans que Marla et ses enfants avaient quitté San Francisco, Walter avait appris à couvrir méticuleusement ses traces. A part le détective privé et lui-même, personne n'était au courant de l'existence de la boîte postale en question. Il avait réussi à compartimenter tout un pan de sa vie de façon quasi hermétique. Même ses enfants ne connaissaient de ses activités que ce qu'il acceptait d'en montrer.

Reposant le combiné, Walter marcha jusqu'à la fenêtre. Une pluie diluvienne tombait du ciel résolument hivernal. San Francisco était aussi lugubre en janvier par temps de tempête qu'en été lorsque le brouillard se déposait comme un linceul sur la ville.

Ainsi, Marla était morte... enfin morte.

Walter ferma les yeux pour laisser la nouvelle faire son chemin. Ce décès marquait la fin d'un chapitre tourmenté de son existence. Et il avait tout lieu de s'en réjouir. N'avait-il pas passé un quart de siècle à s'inquiéter à cause de cette femme ? Il lui était même arrivé de se sentir coupable envers elle et sa tripotée de mômes. Mais il pouvait dormir sur ses deux oreilles, maintenant. Le passé desserrait enfin son emprise.

Sans doute avait-il eu tort de se torturer à ce point, d'ailleurs. Son père, qui avait toujours été pauvre comme Job, le lui avait répété assez souvent : « La vie est une jungle, mon garçon. Et chacun se débrouille pour sauver sa peau comme il le peut. »

En construisant son empire dans l'extraction et le commerce du diamant, Walter avait pu vérifier la justesse de la maxime paternelle. La fortune souriait à ceux qui avaient assez de tripes pour saisir une opportunité au bond. Un individu lent, hésitant et dévoré par les scrupules était nécessairement un individu perdant. Et il n'avait jamais été de ceux qui laissent passer une bonne occasion.

Walter prit une profonde inspiration.

— Je suis libre, bon sang ! Libre !

Le poids du passé tomberait-il enfin de ses épaules ? Retrouverait-il, après tant d'années, l'insouciance, la légèreté qu'il avait perdues depuis si longtemps ? Scrutant son propre reflet dans la vitre, Walter dut admettre que l'impression de pesanteur était toujours présente. Rien ne semblait devoir dissiper cette noirceur qui plombait son humeur et peuplait ses nuits de cauchemars dont il se réveillait dans un sursaut d'horreur, en nage et le cœur battant. Mais qu'à cela ne tienne. Il était habitué à cette sombre présence en lui. Et le dernier lien dangereux avec son passé venait de passer l'arme à gauche.

Walter porta une main à son estomac. Si le goût amer persistait dans sa bouche, c'était avant tout une question d'hygiène de vie. Il était temps, à son âge, de surveiller plus étroitement son alimentation. Et de limiter sa consommation d'alcool à deux verres de vin tout au plus.

Il frissonna lorsqu'une furieuse rafale de vent ramena la pluie contre la vitre. Au même moment, son téléphone sonna de nouveau.

Sur sa ligne professionnelle, cette fois.

Walter reconnut avec plaisir la voix de son fils aîné, celui qui, le moment venu, reprendrait le flambeau et assumerait la direction de Parks Exploration et Extraction. Son cœur se gonfla de fierté paternelle. Il y avait au moins une chose dans sa vie qu'il ne regretterait jamais : c'était les quatre enfants qu'Anna et lui avaient mis au monde.

De tous, Cade, son fils aîné, était le plus prometteur. Et il avait en effet beaucoup d'atouts : un excellent physique, une intelligence fine et rationnelle et une grande stabilité de caractère. Walter lui avait proposé de travailler pour lui mais Cade ne s'était pas senti attiré par le commerce. En revanche, le droit l'avait toujours fasciné. Et Walter avait fini par admettre qu'il serait en tout point avantageux d'avoir un juriste dans la famille.

A présent, son fils aîné travaillait pour un prestigieux cabinet juridique— une place de choix que lui, Walter, avait négociée personnellement et qui permettait à son fils aîné de gérer tous les problèmes juridiques de Temps. A vingt-neuf ans, Cade avait acquis une excellente connaissance du commerce du diamant. Il ne lui manquait aucune des qualités requises pour prendre le relais lorsque l'heure de la retraite sonnerait pour son père. Avec le sens des responsabilités qui le caractérisait, Cade ne se déroberait pas face à ses obligations filiales. Walter n'avait aucune inquiétude là-dessus.

— Tu es libre à midi Cade ?.. .Parfait. Je t'invite à déjeuner. Dans une demi-heure au Top o'the Mark. Ça te va ?

— Tout à fait. J'ai les informations que tu m'as demandées au sujet du roi Abbar et de son fils, le prince Lazhar, du Daniz. La santé du roi est assez chancelante. Apparemment, c'est le fils, désormais, qui tiendrait les rênes du pouvoir. Je t'apporte la documentation que j'ai pu rassembler.

— Entendu.

Walter raccrocha en souriant. Le Daniz faisait partie de ces minuscules Etats dont la plupart des gens n'avaient même jamais entendu parler. Ce qui prouvait bien à quel point l'humanité était globalement stupide. Les diamants extraits au Daniz étaient parmi les plus beaux que l'on trouvait sur le marché. Des forages récents avaient permis de détecter de nouveaux filons de pierres couleur rose ou Champagne qui faisaient actuellement fureur dans la jet-set et parmi les célébrités qui donnaient le ton.