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Semez à tous vents les alphabets et l’amour de l’imprimerie, sans laquelle un parler ne mérite pas le titre de langue. Seulement un dialecte, un patois comme on dit chez vous, un bruit qui s’envole. Les hommes ont tous la peur de mourir, de ne laisser derrière eux qu’un peu de poussière. Apprenez-leur que le plus simple moyen de ne pas mourir complètement est de s’adonner à l’écriture, manuscrite ou imprimée. Lorsque vous relisez une lettre de vote mère ou de vote père défunts, vous entendez leur voix comme s’ils étaient à côté de vous, vous retrouvez leurs pensées, leurs sentiments, leurs rêves, leurs émotions.
Afficher en entierJe me souviens d’un long bavardage que nous eûmes ensemble à un carrefour de Clermont très fréquenté. Nous nous tenions au milieu, gênant considérablement la circulation, les voitures devaient nous contourner. Vialatte semblait sourd aux injures et aux coups de Klaxon. Me sachant passionné de grammaire, il m’entretenait de l’imparfait du subjonctif :
- Jamais, affirmait-il, une langue n’est trop difficile. Jamais elle n’oppose trop d’exceptions à ses règles. Sinon, ce serait comme si n’importe qui pouvait jouer du Chopin au piano.
Afficher en entierSa sœur Lucile se convertit aussitôt en titutrice. Elle lui enseigna les bonnes manières : comment on tète le biberon, comment on marche à quatre pattes, comment on se lèche avec la langue quand le nez coule, comment on crache le noyau de la cerise si l’on ne veut pas se boucher le pétard. A la vérité, c’est moi qui leur avais appris ce dernier mot, malgré les protestations de ma femme.
Afficher en entierC’était une enfant intelligente. Elle apprit à lire toute seule en déchiffrant les étiquettes. En commençant par LIMONADE qui lui apprit quatre voyelles et quatre consonnes. Je l’y aidai un peu. Nous sommes ensuite passés à VINAIGRE. Suivi de CHOCOLAT. Les instituteurs d’aujourd’hui se chamaillent et tirent la barbe à leur ministre pour déterminer s’ils doivent enseigner selon la méthode « globale » ou la méthode « syllabique ». Aucun ne parle de la méthode des étiquettes. Il doit en exister d’autres. Selon moi, il n’est point de bonne ni de mauvaise méthode. Il n’y a que de bons et de mauvais maîtres.
Afficher en entierJe suis effrayé de ce qui meurt d’unique avec chacun de nous. Il faudrait bien, avant la mort, avoir refait son unité et réalisé son possible. Et dit ce qu’on voudrait avoir dit. On n’a pas lu le quart de son propre livre. Quand vivre ? On n’a pas le temps. Il faut trop choisir.
Afficher en entierLa langue française est farcie d’exceptions, de pièges, de subtilités. Sans cela, comme dit Vialatte, où serait son charme ?
Afficher en entierL’architecture moderne est foncièrement parallélépipédique, sans chaleur ni souvenirs. Ce qui explique la plupart de nos dépressions nerveuses. L’âme humaine a besoin d’encoignures, de mystérieuses anfractuosités, de replis et de courbes, de soupentes imprévisibles. Autrement, elle s’ennuie.
Afficher en entierLe temps est honnête homme, dit un proverbe. En matière de renommée, il corrige les enthousiasmes et les dédains immérités ; il met chaque valeur à son juste niveau. Quand je considère de nos jours certaines gloires boursouflées sur lesquelles se concentrent les feux de la télévision, de la presse, des salons, des académies, je souris à l’idée de ce que penseront d’elles et de nous les siècles futurs.
Afficher en entierJ’avais lu dans Science et Vie que des médecins américains avaient publié les résultats d’une recherche : rien n’est aussi contraire à l’hygiène que le baiser. Surtout s’il est prolongé. Surtout s’il est profond. Nos papilles sont naturellement peuplées de bactéries et germes infectieux susceptibles de propager les plus affreuses maladies. Par ordre alphabétique, l’acné, l’ankylose, la balanite, le béribéri, la blennorragie, le choléra, la cystite, la dermatose, la dysenterie, l’eczéma, l’érysipèle, la furonculose, la gonorrhée, l’hépatite virale. Aussi devons-pratiquer le baiser, si nous le jugeons vraiment indispensable à l’expression de nos sentiments, de la façon suivante : primo, ne pas le prolonger plus de cinq secondes, au-delà on risque aussi de périr asphyxié car, pendant le baiser, on ne respire pas ; secundo, le cinq secondes écoulées, se purifier la bouche avec un désinfectant, permanganate de potassium, eau oxygénée ou fumigation d’eucalyptus. Ne pas répéter l’épreuve du baiser avant une semaine.
Afficher en entierDe toute façon, je ne désespère jamais de la réalité. Il suffit d’attendre. Comme dit un proverbe bantou : « C’est se conduire en rékéké que d’étouffer le roukoukou dans l’œuf. »
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