Le septième chatiment

Le premier jour, la tradition demandait que les paysans d’Opis assument les péchés de leurs maîtres, et qu’ainsi l’aristocratie de la planète soit absoute, afin que les nobles de l’Aristeia soient autorisés à participer aux célébrations et aux festivals à venir.

C’est pour cette raison que le premier jour était un jour de douleurs et de souffrances, car les péchés de l’aristocratie étaient grands. Leurs lignées remontaient à la signature de la charte qui avait fait d’Opis une vassale de l’Imperium, près de dix mille ans plus tôt. Ces millénaires avaient laissé le temps aux lignées de l’Aristeia de donner naissance à des meurtriers, à des hérétiques, à des fous et à des tyrans, si bien que tous les péchés de ces hommes devaient être lavés chaque année avant de pouvoir célébrer l’Empereur et ceux qui régnaient en Son nom. Chaque paysan devait faire pénitence. Certains rouvraient les cicatrices de l’année précédente à l’aide de chats à neuf queues ou de lames rituelles. D’autres s’automutilaient déjà depuis plusieurs jours. Les infirmes et les personnes âgées avaient le droit de donner simplement un peu de leur sang.

Dans la seconde cité la plus importante de la planète, un labyrinthe de niveaux entremêlés nommé Makoshaam, cette pénitence était menée sur une des autoroutes réservées d’ordinaire aux membres de l’Aristeia. Les plus jeunes filles de l’aristocratie passaient entre les pénitents, et bandaient les plaies à l’aide de morceaux de soie, ou administraient des gobelets d’analgésiques tirés de carafes en argent portées par leurs domestiques. En dépit de cela, beaucoup de pénitents, qui allaient jusqu’à se provoquer des hémorragies, finissaient handicapés à vie, voire mouraient au milieu de la foule.

Cette scène mélangeant célébrations sacrées et souffrances se répétait partout dans Makoshaam. Elle était particulièrement atroce le long de la Porte Processionnelle de la Manticore, qui menait des faubourgs de la ville jusqu’à la Basilique des Mille Plaies. C’était une grande avenue au sol dallé de pierre polie, aux côtés décorés de bas-reliefs. Une petite armée de bedeaux avait pour mission de récupérer le sang des pénitents dès que celui-ci giclait de leurs artères. Les jeunes filles circulaient entre les pénitents ; elles portaient de longues tuniques blanches et des voilés imprégnés de germicide. Ça et là, un paysan était cloué au mur par sa femme et ses enfants, ailleurs un autre était attaché à un lampadaire et fouetté par un de ses proches, qui pleurait tandis que la lanière de cuir mordait les chairs de son parent. Des membres de l’Aristeia étaient sortis de leurs manoirs pour profiter du spectacle, mais ils étaient peu nombreux, car il était mal vu d’accorder de l’intérêt à la paysannerie en lui faisant les faveurs d’une apparition au beau milieu de ses actes de dévotion.

L’ambiance sonore relevait à la fois des grognements de douleur, des claquements secs des fouets, et du crissement des lames rouillées qu’on aiguisait pour l’occasion. L’odeur du sang et de la sueur se mêlait aux fragrances épicées qui planaient en permanence dans l’air de Makoshaam.