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Ce soir-là, j'appris toute la différence entre l'éducation d'un enfant héritier et celle d'un militaire. Mon oncle avait examiné un problème que je percevais comme strictement restreint à l’École et en avait extrapolé les conséquences sur notre année toute entière. Je doute fort que mon père l'eût analysé ainsi : il l'aurait ramené à un manque de discipline dans l'établissement et à une mauvaise gestion de son directeur. Son frère ainé, lui y voyait un grave symptôme d'une maladie qui affectait l'ensemble de la haute société, et je sentais toute la portée de son inquiétude

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Mon accablement s’accrut soudain. J’étais passé d’innombrables fois devant le bureau de Rufert, mais jamais je n’avais pris le temps de me demander ce qu’il pensait de nous. Je lui jetai un coup d’œil en coin et vis un homme fait, avec des années de service derrière lui, qu’en deux ans d’études à l’Ecole je dépasserais en grade. Cette iniquité m’apparut tout à coup aussi révoltante que celle que je subissais ; je toussotai pour libérer ma gorge de la boule de désespoir qui l’obstruait, et je m’apprêtais à parler quand il m’interrompit avant que je pusse prononcer un mot.

« Taisez-vous, lâcha-t-il d’un ton glacé. Je n’ai rien d’un fils de noble, ancien ou nouveau, mais je sais reconnaître une injustice quand j’en vois une. Ecoutez-moi ; écoutez-moi bien : ne parlez pas de ce papier de renvoi. Fourrez-le au fond de votre poche et ne faites rien tant qu’on ne vous l’ordonne pas. Bouclez-la et ne bougez pas. Ce Caulder me tape sur les nerfs depuis son arrivée à l’Ecole avec son père. Il est peut-être temps que j’aie une discussion avec ce mioche, histoire de lui apprendre que je sais à quoi riment ses petites allées et venues et que ce n’est pas parce que je ferme mon clapet que je ne vois rien. Je vais lui révéler ce que j’ai observé ; ça le poussera peut-être à glisser un mot à son père pour qu’il change d’avis. Mais moins nombreux seront les gens à qui le colonel devra expliquer ce revirement, plus facile ce sera pour lui ; donc, vous vous faites tout petit et vous ne bougez ni pied ni patte pendant un moment. C’est compris, mon garçon ?

— Oui, mon sergent », répondis-je d’une voix tremblante. Ce soutien inattendu aurait dû me redonner courage mais, au contraire, ma faiblesse redoublait. « Merci, mon sergent.

— Le « mon » est réservé aux officiers », fit-il d’un ton amer.

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Spic et moi nous retirâmes dans nos chambres respectives. Je suspendis ma veste mouillée, nettoyai mes bottes de la boue du jardin et brossai le bas de mon pantalon. Puis, par désœuvrement, je décidai de jeter un coup d’œil dans la salle d’étude. En faisant le tour de la pièce où mon père et mon oncle recevaient leurs cours jadis, je me demandais à quoi pouvait ressembler une enfance passée dans une résidence aussi imposante. Je découvris les initiales de mon père gravées sur le chant d’une des tables ; des livres usés partageaient les étagères avec diverses maquettes d’engins de siège et une chouette empaillée ; à un râtelier pendaient des fleurets et des sabres d’exercice.

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Spic se raidit de fureur, puis j’assistai à une remarquable démonstration de maîtrise de soi : il ferma les yeux un instant, prit une profonde inspiration et laissa retomber ses épaules. « Je ne cherchais pas à t’agacer en poussant ton encrier, en ébranlant la table ni en parlant à Gord ; il s’agissait d’accidents fortuits. Néanmoins, je comprends qu’ils aient pu t’irriter, et je m’en excuse. » Il paraissait plus détendu quand il se tut

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L’intervention de Gord prit tout le monde par surprise. « Laisse tomber, Spic, fît-il. Ça ne vaut pas la peine de courir le risque d’une punition à cause d’une bagarre dans le dortoir. 

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A ce moment-là, notre surveillant aurait dû intervenir, ce qu’espéraient peut-être les deux antagonistes ; en tout cas, ils n’ignoraient pas que la sanction pour une bagarre dans les quartiers allait du renvoi des cours de quelques jours à l’expulsion pure et simple. Ce soir-là, nous avions pour gardien un deuxième année dégingandé, la figure mouchetée de taches de rousseur, aux grandes oreilles et aux poignets protubérants qui dépassaient de ses manches. Son cou démesuré donnait l’impression qu’il passait son temps à avaler sa salive. Il se dressa subitement, et les deux adversaires se figèrent dans l’attente de l’ordre de reprendre leur travail ; mais il s’exclama seulement : « J’ai oublié mon livre ! » et sortit aussitôt. Aujourd’hui encore je me demande s’il craignait de se trouver mêlé à une explosion de violence physique ou si, au contraire, il souhaitait par son départ encourager Trist et Spic à la rixe

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La remarque n’avait rien de plus méchant que d’ordinaire, hormis le fait qu’elle incluait Spic. Elle récolta un éclat de rire général de notre table et, l’espace d’un instant, on put croire qu’elle avait étouffé dans l’œuf l’orage qui montait. Même Gord se contenta de hausser les épaules et murmura : « Pardon pour le bruit. 

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Pourtant, cette concorde n’avait pas la profondeur que j’eusse espérée : alliés contre Dente, Spic et Trist n’en continuaient pas moins à se heurter. Ils se défiaient rarement face à face pour la conquête de notre loyauté ; désormais, la distance entre eux se voyait surtout dans la façon dont ils traitaient Gord

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Un soir, un tel incident fut à l’origine d’un accrochage entre Spic et Trist : en déplaçant son livre, le premier poussa l’encrier du second, qui s’exclama d’un ton irrité : « Hé ! doucement 

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« Caporal Dente, je n’ai pas souvenir qu’aucun d’entre nous se soit moqué de vous. Nous avons ri d’une remarque de monsieur Trist, mais vous ne pouvez pas croire que vous étiez l’objet de notre risée, n’est-ce pas ? » Il avait posé la question le visage grave et ouvert. Son sérieux prit l’autre au dépourvu ; il resta un moment à dévisager Spic, fouillant manifestement sa mémoire en quête de l’insulte dont il s’était senti visé

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