Extraits

Éreinté, je passai le reste de la nuit allongé sous une aubépine à la belle frondaison. Très vite, une silhouette me rejoignit. Je reconnus Stan, qui s’assit à côté de moi.

— Tes efforts pour m’accompagner jusqu’ici étaient donc un froid calcul, lui dis-je. Cet être de l’Invisible qui est venu chez toi sous des traits humains, il est venu te révéler ton identité, c’est ça ?

— C’est ça.

— Et il t’a appris qui j’étais… ce que j’avais fait à ton père.

— Oui.

— Ton grand-père humain sait-il qui tu es ?

— Oui, il l’a compris. Mais il garde le silence.

Stephen et moi discutions toujours à l’avant du ferry. Je sentais à l’entendre que quitter sa famille, plombée par le handicap de son frère, était pour lui un vrai soulagement.

— J’aime Adrian, m’assurait-il. Mais il y a des tas de choses qu’on ne peut pas faire à cause de lui.

— Par exemple ?

— Aller au cinéma tous ensemble, partir en vacances quand ça nous chante. Il faut toujours tout régler en fonction de sa vie. C’est étouffant.

Je m’envolai en direction du sud, vers le lac Arrow, mon bracelet en or enserrant fermement mon aile droite. Il y avait quelque temps encore, Dagda était le gardien des cairns bâtis ici par nos ancêtres. Qui les surveillait désormais ? Des bataillons ennemis ? Des sheerie ? Des léprechauns maléfiques ?

Au moment où il finit sa phrase, le fantôme d’Anga nous rejoignit. Nous la suivions des yeux, envoûtés par son mystère. Elle s’arrêta devant Dynn, silencieuse. Elle se tourna ensuite vers Saol, ma fidèle jument, et la fixa longtemps, comme si ses yeux aveugles percevaient sa silhouette. Mais elle n’exprima aucune émotion. Elle s’approcha enfin de Bran. Nous retenions notre souffle. Anga ferma ses paupières et attendit, immobile. Puis elle tourna les talons et poursuivit son chemin, sans un mot, sans un sourire pour son fidèle cheval. Alors Bran inclina la tête. Quand il redressa son encolure, ses yeux étaient cruellement fatigués. C’était comme si tout le poids des siècles s’était en quelques secondes abattu sur lui. Autour de nous, les mouettes effarées hurlaient, les rouleaux d’écume s’effondraient. Bran s’affaissa sur le sable, accablé, tandis que s’éloignait le spectre indifférent d’Anga.

DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’IRLANDE, en pleine mer, une merrow avançait secrètement sur les fonds marins. Il s’agissait de Muir, l’amie d’Anga. Elle venait de quitter le palais de Manannan et se dépêchait de rejoindre la grotte où Morcan, le frère de Moryn, avait trouvé refuge après son bannissement(7).

Dans le puits de lumière inondant le seuil, j’approchai mon visage et posai mes lèvres sur les siennes. Nous nous embrassâmes éperdument.

Je repris mon aspect dé danann, me dirigeai vers le chêne le plus proche et posai ma main sur son tronc. Je l’entendis crier comme si on l’avait déraciné. Aussitôt m’apparurent des images de Fomoire martyrisant le site. Ils étaient venus à plusieurs et s’en étaient pris aux plantes. Les fougères, les fleurs, les buissons avaient hurlé de douleur quand les colosses s’étaient amusés à les vider de leur sève. Bouleversé, j’implorai Eriu pour qu’elle apaise leurs souffrances. Mon bracelet de force se mit alors à chauffer. Sa chaleur remonta le long de mon bras et atteignit ma poitrine. Je sentis une énergie puissante s’écouler entre mes poumons. Elle jaillit et irrigua toutes les plantes blessées. Je ne contrôlais rien. Les feuilles retrouvaient leur éclat dans le monde invisible. Les papillons noirs redevenaient bleus, les abeilles paralysées redéployaient à nouveau leurs ailes, s’envolaient et se posaient sur les fleurs. Tout cicatrisait. Au-dessus de ma tête, les oiseaux rejouaient leurs trilles. Le merle exultait, la mésange frétillait. Quand mon torse cessa de rayonner, les êtres meurtris avaient repris vie.

Tout bascula quand Dynn, le petit esprit de la nature, découvrit l’épée de Nuada dans le gouffre où Anga avait déjà trouvé l’Émeraude. Quand la Pierre sacrée et le glaive furent de nouveau réunis, le sorcier Balor sut que l’épée de Lumière était réapparue. Il lança ses guerriers sur les traces d’Anga et parvint à la capturer. Mais celle-ci avait déjà remis la précieuse épée à Ogme, le magicien des Dé Danann.

Au moment où l’épée de Lumière quitta les mains de Nuada, tous les guerriers cessèrent de combattre. Chacun suivit des yeux l’arme magique dont dépendait le sort de la bataille. Le glaive tournoya dans les airs, franchit l’écran invisible et se dirigea sur l’œil de Balor. Mais, par ses pouvoirs, celui-ci parvint à dévier la trajectoire de l’épée. L’arme détournée se planta dans la cuisse droite du sorcier.

Touché, Balor poussa un hurlement effroyable. Il arracha le glaive de sa cuisse, se dirigea vers Nuada et ne lui laissa aucune chance : il le décapita. L’épée de Lumière venait de tuer son roi ! Les guerriers dé danann comprirent alors que tout était perdu.

IL ÉTAIT AUTREFOIS, EN IRLANDE, un roi nommé Nuada, chef des tribus magiques appelées « Tuatha Dé Danann », les tribus de la déesse Dana.

Nuada possédait un talisman : une épée forgée par les magiciens du Nord. Sur son pommeau était fichée l’Émeraude, la Pierre sacrée de son ancêtre Nemed. L’arme était connue de tous : on l’appelait l’épée de Lumière et c’était l’un des quatre talismans que possédaient les Tuatha Dé Danann. Quiconque la tenait entre ses mains était invincible. Les trois autres talismans étaient la pierre de Fal, le chaudron magique de Dagda et la lance infaillible de Lug.