Extraits

Katerina le dévisagea sans savoir quoi dire pour le réconforter. Il avait beau essayer de faire taire sa peine, la tristesse se lisait dans ses yeux sombres. Pourtant, il n’y avait rien de honteux à montrer ses sentiments, au contraire cela prouvait son attachement et le rendait bien plus humain que son égoïste d’ami.

—       Hayden tenait à parler à Gabriel et moi non, déclara plus tard Katerina avant qu’il ne lui pose la question. Sans parler de sa foutue Camaro qu’il ne veut pas laisser toute seule là-bas. Quel homme utile !

Luther afficha un maigre sourire.

—       Encore une dispute ? (Une ombre d’inquiétude passa sur son visage.) Tu devrais lui donner du temps. Je ne peux t’en parler à sa place, il m’en voudrait et je comprendrais sa réaction. Kate, je ne lui cherche pas des excuses, simplement, sache qu’il en a bavé plus que de raison.

— Franchement, je n’en ai rien à cirer !

— Eh bien, tu ne devrais pas. Tu peux même l’aider à aller mieux, je pense.

Pantoise, Katerina lorgna Luther comme s’il avait perdu l’esprit.

—       Il ne veut pas me parler, finit-elle par dire.

Roulant des mécaniques, Jackson se dirigea vers le comptoir. Derrière, Ray traînait des pieds tout en évitant de se cogner aux danseurs. Une sorte de mauvais pressentiment lui certifiait que cette première chasse allait mal finir. La jolie fille ne ressemblait pas aux habituées : le monde qui l’entourait ne semblait pas l’intéresser. Elle se tenait en retrait, et n’accordait aucun regard aux quelques types qui essayaient de la charmer. Ray vit ses lèvres charnues remuées. L’instant d’après, le barman lui servait un épais liquide brunâtre, qu’il supposa être du whisky ou du rhum.

Jackson s’accouda sur le bar, le torse bombé pour montrer toute sa virilité.

—Un bourbon, commanda-t-il de sa voix bourrue.

La fille but, grimaça et reposa son verre sur la surface sale du zinc. Tout ça sans témoigner un seul intérêt à Jackson, lequel affichait un sourire suggestif.

—Alors, ma jolie, dit-il, sans aucune délicatesse, on est venu se détendre ?

Elle plissa les yeux un instant, légèrement agacée, mais Jackson ne sembla s’en offusquer. Au contraire, cela paraissait lui plaire, mais jusqu’où ? Ray connaissait un peu son créateur, désormais. Au début, il gardait toujours son sang-froid, faisant preuve d’une étonnante patience. Puis, si les choses n’avançaient pas, la colère l’emportait très vite. Personne n’avait le droit de lui résister, clamait-il après avoir puni une fille récalcitrante à ses charmes.

—Mon pote, là, continua-t-il, aimerait te dire deux mots ! J’crois que tu lui as tapé dans l’œil !

Sur quoi, il fit passer Ray devant lui. Le jeune vampire, tétanisé, émit comme une sorte de couinement en guise de salutation, avant de battre en retraite.

Jackson éclata de rire.

—C’est un p’tit timide !

La fille daigna enfin leur accorder un regard. Elle dévisagea brièvement Jackson, puis laissa traîner son attention sur Ray. Ce dernier se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux.

—Il est bien jeune, lâcha-t-elle d’un ton platonique.

Comme toi, songea Ray avec amertume. Elle ne devait pas avoir plus de vingt-ans, peut-être n’était-elle même pas majeure ! Quoique…. Ses prunelles, d’un gris perle, paraissaient inadéquates avec le reste de son visage. Elles reflétaient une certaine expérience, un long passé, qui ne correspondait pas avec le reste de son corps.

—Non, juste un peu coincé, rétorqua Jackson. C’est pour ça qu’il lui faut une fille qui sache bien s’amuser !

—Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, s’expliqua-t-elle avec lenteur. Je trouve qu’il est bien jeune pour être un vampire. C’est toi qui l’as transformé ?

Son ton était accusateur, tout comme son regard à la fois perçant et froid.

—Ouais, répondit-il, son sourire se mua en une grimace. Ça t’pose un problème ?

Elle haussa les épaules.

—À moi ? Aucun, mais j’imagine que ce n’est pas son cas.

Jackson fit un gros effort pour ne pas perdre son self-control, remarqua Ray, toujours dissimulé en partie dans son dos.

—T’es trop tendue, poupée, repartit-il à la charge. Une nuit avec l’un de nous deux t’aidera à te relaxer.

Sur ce, il agrippa le poignet de la mystérieuse jeune femme et tenta de l’attirer contre lui.

À son grand effarement, la fille ne bougea pas d’un poil. Son bras paraissait scotché sur le comptoir, ou bien trop lourd pour que Jackson parvienne à le soulever.

Sur scène, les musiciens interprétaient un morceau de hard rock d’un groupe connu.

—Allez, laisse tomber, s’écria Ray par-dessus la musique, tu vois bien qu’elle ne veut pas venir !

Jackson, plus têtu qu’une mule, dégagea sa main d’un mouvement d’épaule.

—Écoute, soit tu te laisses faire, soit on fait ça à ma manière, grogna-t-il en souhaitant l’intimider.

Elle lui adressa un sourire sarcastique.

—Un conseil, file vite-fait d’ici. Je ne suis pas du tout d’humeur à supporter les avances graveleuses d’un pauvre gars dans ton genre.

Jackson tiqua. C’était la première fois de sa vie qu’une fille osait l’affronter sans se réfugier derrière son petit-ami ou le videur du club. Estomaqué, le vampire mit un certain avant de réagir.

—Ah ouais ? J’serais curieux de voir ça, la nargua-t-il d’une voix irritée.

Il posa sa grosse paluche sur l’épaule de la fille et essaya derechef de la bouger de son siège. En vain.

Ray tenta une nouvelle fois de le raisonner.

—Jackson, arrête !

Autant s’adresser à un mur.

Le biker découvrit ses dents aiguisées en signe de dernier avertissement. Après quoi, il la mordrait, la viderait un peu de son sang puis, une fois qu’elle ne possèderait plus assez de force pour s’opposer à lui, il la conduirait hors du club et terminerait le travail. Le plan habituel, qui ne se déroulera absolument pas comme prévu.

La peau de la fille devint dorée, tout autant que ses belles prunelles en amande qui perdirent leur couleur grise. Effrayée, ou gênée, par la lumière resplendissante qu’elle diffusait dans un rayon d’au moins un mètre, la foule cessa de bouger. Les musiciens quant à eux ne semblèrent rien remarquer. Le chanteur se déchaînait sur son micro, hurlant les paroles de la chanson à en s’en arracher les cordes vocales.

—Lâche-moi, gronda-t-elle.

Ray fit un pas en arrière, alarmé par l’expression féroce qui se lisait sur son visage. Cette fille n’avait rien d’humain, ni de vampire, ou même de loup-garou. Sa puissance excellait celle de toute autre créature connue sur cette planète. Elle lui faisait penser à une bombe à retardement, instable et dangereuse. Une chaleur assez désagréable se dégageait de son corps.

—Si tu crois m’impressionner, ricana Jackson d’un ton mal assuré.

—C’est la dernière fois que je me répète : lâche-MOI !