Extrait

Le Styx coule à l’envers

C’est un cliché que de comparer l’écriture à l’enfantement. Et comme tous les clichés, celui-ci contient une part de vérité. L’instant où apparaît l’idée d’une nouvelle ou d’un roman – cet instant d’inspiration, de conception à l’état pur – est ce qu’il y a de plus proche de l’extase dans la vie d’un écrivain. La rédaction de l’œuvre proprement dite, en particulier s’il s’agit d’un roman, dure environ le temps d’une gestation, et elle est marquée par un certain inconfort, de fréquentes nausées et l’absolue certitude d’un travail difficile avant l’accouchement. Et puis voilà que ces livres et ces récits, une fois publiés, acquièrent une vie propre et échappent totalement au contrôle de leur géniteur ; ils voyagent de par le monde, visitent des pays que l’écrivain ne verra jamais, apprennent à parler couramment des langues qu’il n’a aucun espoir de maîtriser, rencontrent des lecteurs bien plus riches et bien plus cultivés qu’il ne le sera jamais et – comble de l’infortune – vivent et prospèrent bien longtemps après qu’il est retombé dans la poussière et dans l’oubli.