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Ce silence dans la cuisine est la confession d’un échec. Son couple se délite. Tout ce qu’il en reste, c’est du vide. Ses efforts n’ont pas payé, ça ne marche que dans les films. Elle n’a rien vu venir, et maintenant il est difficile de revenir en arrière. Elle le sait, c’est même impossible.
Afficher en entierJe glisse lentement pour me fondre avec le sol glacé. Je me vide avant de m’élever. Le temps s’arrête. Je ne suis plus composé de matière. Je n’ai plus de texture. Je flotte simplement au-dessus du sol. Je suis dans l’air ambiant, je suis même l’air ambiant jusqu’à ce que je m’éparpille en une infinité de fragments. Je suis ces gouttes qui s’écrasent sur la fenêtre avec l’averse. Je suis le courant d’air à l’entrée du service. Je suis le café dans le thermos de cette infirmière en fin de carrière. Je suis la lumière des néons, le faux plafond miteux et le lino qui en a bavé. Je suis le battement de chaque cœur, de chaque personne.
Afficher en entierFace à la mort humaine, chacun de nous ressent la souffrance provoquée par un cœur perturbé, l’intelligence secouée et l’œil désolé. Mais Dieu a le droit de rappeler à Lui qui Il veut, quand Il le veut, d’où Il veut et à la manière qu’Il veut. Notre Seigneur ne consulte personne au sujet de notre mort. Il n’existe pas d’amnistie pour la mort. Dieu tout-puissant est le Créateur de notre corps et de notre âme, le maître absolu du temps et de l’éternité, de ces espaces matériels et des sphères spirituelles, et c’est pourquoi nous nous tenons devant Dieu dans l’humilité et la foi.
Afficher en entierMaël est installé devant les dernières minutes d’un film à gros budget. Elle prend soin de s’isoler dans la pièce d’à côté et de fermer la porte. Le téléphone rivé sur l’oreille, elle cherche à joindre son mari. Une première sonnerie. Elle fulmine, prête à en découdre. Seconde sonnerie. Elle sait qu’elle ne va pas mâcher ses mots. Troisième sonnerie, le divorce traverse son esprit pour revenir au galop. Une quatrième, puis une cinquième… Une sombre inquiétude s’immisce. L’appel continue encore et encore. Olga l’ignore, mais Thomas ne répondra jamais.
Afficher en entierDe la vaisselle brisée sur le sol. Autant d’éclats qui constellent le carrelage. On a sacrifié tout le service, c’est un beau gâchis. Elle s’acharne à passer le balai dans la cuisine. Pour éliminer la moindre trace de leur dernière altercation. Thomas a fini par prendre la fuite, comme d’habitude. C’est impossible d’avoir une discussion adulte avec lui.
Alors que les fragments rejoignent la pelle, elle soupire, exaspérée. Ce n’est pas faute d’avoir proféré des menaces, mais il n’est pas resté à la maison. Pas même pour son fils. Prétextant avoir trop de travail, une fois de plus. Les morceaux de céramique sombrent dans la poubelle. Monsieur n’a plus de temps à leur consacrer, c’est trop lui demander. Elle observe le désastre dans la pièce et se dit que la dispute a fait rage. Elle n’a pas fait dans la dentelle. Les murs s’en rappellent encore. Il y a de tout partout, c’est un carnage. Les cadres photos sont tous de biais. Leur photo de mariage s’est écrasée à terre pour se fendre. Pulvérisée par la rogne d’une femme qui ne reconnaît plus son partenaire. Par la furie d’une mère qui tente désespérément de retenir l’homme de la maison. Le cliché n’a pas résisté aux lancés d’assiettes et de verres contre la cloison. Comme leur couple n’a pas résisté aux remous de la vie. En ramassant les morceaux, elle songe à cette image de leur relation disloquée entre ses mains. La surface fendue en étoile croustille légèrement entre ses longs doigts. Elle tient tout un symbole : une histoire bien fissurée qui s’émiette à chaque seconde.
Afficher en entierDe l’autre côté, une jeune femme s’extirpe à son tour. Presque à quatre pattes. Elle se tient l’abdomen et vacille un peu. J’approche encore du couple choqué. La trajectoire de ma chute se compose de morceaux d’aciers, de plastiques et de chairs. La dépouille de ma moto. Autant de débris qui jonchent la terre jusqu’au point d’impact. La femme, je l’entends crier. Ses pleurs me parviennent. Un hurlement coupable déchire la nuit lorsqu’elle examine le break. Enfin, elle lance un regard dans ma direction. La pauvre prend conscience de l’horreur qu’elle vient d’engendrer. Je progresse lentement vers l’irréparable. D’ici, je devine son visage amaigri et crispé par l’atrocité. Oui, j’aperçois ses cheveux clairs mouillés et son allure déplorable sous la flotte.
Sans hésiter, elle se met à courir vers moi. Elle s’époumone, elle appelle à l’aide. Elle s’approche pour me porter secours, je distingue sa détresse. Bientôt, je pourrai trouver un vague réconfort dans ses bras, même si tout est de sa faute. Elle galope à en perdre haleine jusqu’à mon niveau en pleurant toutes les larmes de son corps. Mais elle ne ralentit pas. Elle ne s’arrête même pas. La conductrice poursuit sa course à travers la nuit.
Afficher en entierÉtendu de tout mon long dans la boue, je pèse une tonne. Mes paupières se décollent au prix d’un effort qui pourrait me coûter la vie. J’éprouve le profond besoin de crier que je suis vivant, mais je reste aphone. Je ne distingue que les ténèbres et le scintillement timide de rares étoiles. Un bouquet de taches sombres perturbe mon champ de vision. Un mouvement de particules timorées sur ce que mon regard dévoile. Dans ma tête, ce bruit strident vibre et siffle en continu. Ça vient de loin et de partout à la fois. La résonance d’une note aiguë soutenue par des bruits de pas. Mes oreilles bourdonnent, mes tempes cognent contre les parois de mon crâne sensible. Un goût métallique envahi mon palais, une saveur abjecte qui dévale sur ma langue râpeuse jusqu’au fond de la gorge.
Ce que je fais ici et maintenant ? Je l’ignore. Comment en suis-je arrivé là ? Je ne me l’explique pas. J’ai conscience de ce que je suis. Mais j’ai tout oublié - ou presque. J’imagine que c’est cette sensation de vide que doit ressentir un nouveau-né. Simplement rattaché à l’instant, sans savoir ce qui l’attend. Sauf que je suis emmuré dans une souffrance nauséabonde. Pris en otage entre la douleur et l’oubli. Je flirte avec le temps dans une parenthèse amnésique. Parenthèse durant laquelle mon âme est en charpie. Ça, c’est la seule chose dont je sois sûr.
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