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L’inspecteur principal Chen Cao, de la Police criminelle de Shanghai, était invité dans une immense maison de bains, Oiseaux volants, Poissons bondissants, un après-midi de mai.
Selon Lei Zhenren, rédacteur au Matin de Shanghai, ils s’y verraient luxueusement lavés de tous leurs soucis.
— Cette maison de bains ultra-moderne est vraiment unique. Typique du socialisme à la chinoise. Tu ne trouveras ça nulle part ailleurs.
On demande combien de chagrin tu peux contenir. / Autant qu’un fleuve de printemps qui coule /Infiniment vers l’est(3).
Afficher en entierDans l’hôpital militaire, Lou dut une fois encore attendre dans le couloir, regardant passer le vieux flic sur un brancard, couvert d’un drap blanc, suivi de près par la Sécurité intérieure. Là encore, il ne put rien faire d’autre que fumer cigarette sur cigarette. Pendant toutes ces années, se souvint-il avec un goût amer dans la bouche, Hua avait fumé des Cheval Ailé, l’une des marques les moins chères. C’était perdre la face, en ces temps prospères, mais Hua n’avait pas le choix. Les soins médicaux de sa femme n’étaient plus couverts par l’assurance d’État au bord de la banqueroute. Où aurait-il trouvé l’argent pour fréquenter régulièrement un club de karaoké, avec des Cheval Ailé dans sa poche ? Lou s’en grilla une troisième. Elle formait entre ses lèvres comme une antenne, s’agitant dans un effort pathétique pour saisir d’imperceptibles informations sur les murs blancs qui l’entouraient.
Les premiers résultats des tests arrivèrent. L’examen médical montrait que la fille avait eu des rapports sexuels dans la nuit. Le sperme était bien celui de Hua. L’autopsie de celui-ci devrait attendre le lendemain matin. Selon l’avis du médecin, une surdose de Tigre et Dragon avait pu provoquer un infarctus. La Sécurité intérieure avait trouvé un paquet de cette drogue dans la poche de Hua.
Afficher en entierCes infâmes établissements avaient la réputation d’être en cheville avec des cadres de haut niveau du conseil municipal, qui bénéficiaient d’informations réservées. C’était sans doute pourquoi les descentes de police se soldaient toujours par des échecs : autant vouloir puiser de l’eau avec un seau en bambou.
Pourtant l’informateur avait, d’un ton pressant, fourni un numéro de chambre précis. Comme d’autres flics en bas de l’échelle, Lou s’inquiétait de cette corruption qui prenait des proportions effrayantes dans « le socialisme à la chinoise ». Il ne souffla mot de l’appel à ses collègues, prit l’un des téléphones portables du commissariat et sauta dans une jeep.
Dans le vaste hall de L’Or enivrant, sur une scène latérale, une volée de filles en bikinis se pavanait derrière une meneuse de revue. Celle-ci, vêtue de gaze transparente parsemée de nuages, dansait pieds nus au rythme d’une musique assourdissante devant des imitations de peintures murales de Dunhuang(2). Au pied de la scène, des filles attendaient en file indienne dans leurs mini-combinaisons noires et ballerines transparentes. L’une d’entre elles s’élança vers Lou en ouvrant des bras maigres et blafards, ce qui lui rappela une scène de bordel dans un vieux film. Il crut entendre un chœur de halètements et de grognements sortir des alcôves privées le long du couloir mal éclairé. Deux ou trois clients évoluaient dans le hall comme des poissons dans l’eau, marchandant avec un gérant de nuit musclé, moulé dans un costume Tang noir.
Afficher en entierIl était une heure quinze, en cette nuit de mai, quand l’appel anonyme parvint au bureau de police du Fujian.
— Venez tout de suite à L’Or enivrant, chambre 135. Vous aurez de quoi faire la une de L’Étoile du Fujian.
Le sergent Lou Xiangdong, qui avait pris l’appel, connaissait ce supposé club de karaoké. Celui-ci servait de couverture à des services d’un tout autre genre, gracieusement offerts aux dirigeants et hommes d’affaires. Quant à L’Étoile du Fujian, c’était un tabloïd local fondé dans les années 90. Le message était clair : il se passait quelque chose de scandaleux.
Lou, qui avait intégré l’équipe de nuit à cause du salaire, était ensommeillé et grognon. Célibataire approchant des trente-cinq ans, il venait de rencontrer une ravissante jeune fille avec laquelle il devait le lendemain matin prendre des dim sum(1) – aventure qui lui coûterait sans doute une semaine de salaire. Petites brioches aux crevettes et boulettes de crabe à la vapeur dans des paniers de bambou, rire frais au-dessus d’une tasse de thé Puits du Dragon, doigts blancs pelant pour lui la feuille de lotus qui entourait le riz gluant au poulet s’inscrivaient à son programme…
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