Ajouter un extrait
Liste des extraits
Décidément, l'homme est si peu perfectible que, même par-delà la mort, il tient à conserver, intactes comme des parures, toutes les aspérités de son caractère. Aussi, notre organisateur, le pharmacien, dut-il hier soir opposer son entêtement à celui du matelot Manuël Ortega qui s'obstinait à nous parler en portugais. Devant une mauvaise volonté si évidente, le médium fut réveillé à quatre reprises. C'est seulement à la minute où nous décidions de renoncer que cet obstiné consentit, de guerre lasse, à recourir comme les autres à l'anglais. Un puriste aurait certes trouvé beaucoup à redire à ses incorrections d'ordre grammatical, mais en revanche un collectionneur de gros mots anglo-saxons eût apprécié la virtuosité de cet étranger qui commença à dévider à notre intention un chapelet d'épithètes qu'une dignité bien compréhensible m'interdit de transcrire ici.
Afficher en entierIl entra sans frapper et derrière lui la porte claqua si fort qu'involontairement je fis un pâté d'encre sur mon papier. J'écrivais en effet à ma sœur une lettre destinée de tout temps sans doute à demeurer inachevée :
« 19 juin, en mer
Ma chère Nelly,
Nous avons quitté New York depuis 12 jours et le seul mot qui vienne sous ma plume est celui-ci : étrange, mon amie, étrange... »
Cette feuille a été trouvée plus tard sur ma table et plus que la perte de l'équipage, elle a intrigué ceux qui se sont intéressés au sort du « Pembroke ». Toutefois, même à ce moment, j'étais loin de prêter son sens exact à l'adjectif que je n'avais pas délibérément choisi. « Étrange », oui, il y avait quelque chose d'« étrange » dans la disparition du lieutenant Wharton et le suicide de Taô, ce matelot chinois qui avait vu en dernier lieu, et encore vivant, le malheureux officier. N'y avait-il aucun lien entre ces deux morts successives ?
Afficher en entier