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«Après un hiver des plus froids et des plus désastreux, des narcisses avaient fleuri sur les rives des étangs et des touffes de marguerites dans les champs ; le soleil, le pâle soleil de notre ciel plus souvent couleur de lait que bleu, avait percé, et moi j'étais en route pour la ville de Nantes. Plus d'un demi-siècle s'est écoulé, et il s'en est passé des choses, et rien ni personne n'est comme alors ; mais ces jours-là, je dois les inscrire en lettres de feu dans ma mémoire, parce que c'est alors que tout a commencé. Le 3 mai 1789, deux jours avant l'ouverture des États Généraux, le Roi reçut à Versailles les représentants des trois États, pas tous ensemble, comme on l'attendait, ou répartis selon leurs provinces d'origine, non, la cour imposa de vieux cérémoniaux pleins de poussière et de toiles d'araignées, de vieilles règles plus moisies qu'une croûte de fromage moisi, uniquement pour infliger quelques humiliations aux représentants du Tiers État. Pour frapper les plus faibles, sans penser que sous peu ils deviendraient les plus forts et donneraient des leçons au Roi, en prison avec ses conseillers, et à la Reine plus qu'à tous les autres. Avocats, notaires, médecins, élus dans toutes les provinces de France, le Tiers État compte cinq cent cinquante membres, et ni le Roi ni la Reine ne leur accordent une parole, ni même un regard attentif, ils les laissent passer devant eux comme de fastidieux insectes noirs... Le Roi pense aux daims qu'il va poursuivre dans les bois, en grand chasseur qu'il est, la Reine fait une grimace d'ennui... que n'est-elle pas obligée de voir qu'elle n'aurait jamais été obligée de voir à Vienne. Le lendemain, il y a la Messe et la Procession dans les rues de Versailles, la foule venue de Paris est immense, il y a même des gens sur les toits, et de toutes les fenêtres pendent des tapis, des tapisseries, des couvre-lits dorés ; derrière le Saint Sacrement, le clergé et les nobles se pavanent dans leurs habits de pourpre, avec leurs bijoux et leurs épées étincelantes, et ceux du Tiers État défilent en rangs serrés, ils sont les plus nombreux, dignes dans leurs vêtements sombres, les seuls à recevoir les applaudissements de la foule qui laisse passer les autres dans le silence le plus glacial. Une femme - les femmes, pour le peu que je suis arrivé à en savoir, ont une sorte de génie, le don de piquer avec les mots, bien mieux que nous ne savons le faire, nous les hommes - crie en se tournant vers la Reine : «Vive le Duc d'Orléans !», justement lui, son ennemi.»
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