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Une seule journée peut suffire à bouleverser votre vie.
Une seule journée peut suffire à vous faire vieillir.
D’ordinaire, je me flatte d’avoir de l’intuition. J’écoute cette petite voix en moi qui dit : « Quelque chose n’est pas normal, ici », ou encore : « Fiche le camp tout de suite, espèce d’idiote ! »
Mais en ce mardi de la fin octobre, mon psychisme a dû vouloir protéger l’enfant qui sommeillait en moi, me faire croire une dernière fois qu’il faisait bon vivre dans cet univers. Me faire croire que malgré son désordre apparent, l’existence avait un sens. Parce que je n’ai pas entendu cette petite voix. Je n’ai rien vu venir.
Afficher en entierAlyssa était l'ancienne petite amie de Sam. Je l'avais rencontrée une fois, à l'occasion d'une réunion d'anciens élèves du lycée où ils s'étaient connus. Avant ça, Sam ne m'avait jamais beaucoup parlé d'elle, sauf pour me dire qu'à l'époque, elle attendait trop de leur relation, ou en tout cas plus qu'il n'était prêt à donner. Ils s'étaient donc séparés bons amis après une idylle d'un peu moins de deux ans.
Afficher en entier- C'est Forester lui-même qui m'a fait promettre de mener une enquête au cas où il lui arriverait quelque chose. Il se sentait manifestement en danger. Et maintenant, il est mort. Quant à Sam, je ne peux tout simplement pas croire qu'il ait dérobé quoi que ce soit.
Afficher en entier- Sam a ouvert votre coffre-fort hier soir ? Vous en êtes sûr ?
- Sûr et certain. Par mesure de sécurité, chaque employé ayant accès au coffre se voit attribuer son propre code secret, ce qui permet grâce à un petit logiciel intégré, de savoir qui est le dernier à l'avoir ouvert. Je ne voyais pas ce que Sam était venu chercher et j'ai vérifié le contenu. Je me suis vite aperçu que les actions au porteur de Forester ne s'y trouvaient plus.
Afficher en entierIl m’avait semblé que j’étais brusquement devenue adulte le jour de sa mort, après avoir fini d’édifier mes petits tas de feuilles. Combien de fois, par la suite, ai-je entendu maman dire que j’avais l’âme de quelqu’un qui a beaucoup vécu ? C’était pour moi le plus beau compliment, et je m’efforçais de mon mieux de cultiver cette âme patinée avant l’heure. Jouer à la grande personne n’était pas trop difficile, dans la mesure où j’étais devenue responsable d’un certain nombre de tâches autrefois dévolues à ma mère. Ainsi, je grillais chaque matin deux tranches de pain, exactement comme elle avait l’habitude de le faire avant qu’on ne déménage. Chaque matin, je les tartinais de beurre de cacahuète, puis, avec mille précautions, je traçais une ligne de confiture juste au centre du pain, exactement comme faisait maman quand on vivait dans le Michigan. Je tirais Charlie du lit et l’asseyais dans la cuisine où nous mangions chacun notre tartine grillée, exactement comme on le faisait avant que papa ne tombe dans le lac.
Et puis un jour, j’ai eu le sentiment de retrouver ma mère, au moins pendant un certain temps. Elle s’est remise à sourire, elle a repris un peu de poids, elle riait quand Charlie renversait son lait chocolaté sur le canapé.
Afficher en entierLe plus drôle — bien que drôle ne soit certainement pas le terme le plus approprié, en la circonstance —, c’est que j’étais bien placée pour savoir qu’une seule journée peut suffire à tout faire basculer. J’avais connu ça vingt ans plus tôt lorsque mon père était mort. C’était un mardi et il faisait un temps superbe (lorsque je fais appel à mes souvenirs, la météo est toujours ce qui me revient en premier). Charlie et moi étions en train de jouer avec les feuilles du jardin. On prenait de longues minutes à édifier des montagnes aux couleurs de l’automne, avant de plonger dedans et de les détruire en un clin d’œil.
Ma mère est sortie de la maison. Elle portait un jean souligné à la taille par une ceinture tressée. Le bout de la ceinture n’était pas glissé dans les passants de son pantalon, et je me souviens qu’il lui battait la cuisse tandis qu’elle marchait vers nous. Comme d’habitude, ses cheveux blond vénitien cascadaient en boucles autour de son visage. Mais ce visage était maculé de traînées noirâtres. Il m’a aussi semblé curieusement déformé, comme s’il m’apparaissait au même moment sous deux angles différents, à la manière de ces peintures de Picasso que mon professeur d’arts plastiques nous montrait à l’école.
Afficher en entierDepuis que Forester Pickett avait exigé que je devienne l’avocate principale de Pickett Enterprises, et que les gros dossiers de Tanner étaient devenus les miens, mon distingué collègue me vouait une haine palpable. D’autant que Tanner était un ami d’enfance de Shane, le fils de Forester, et que cette amitié de longue date était à l’origine de la collaboration entre Pickett Enterprises et Baltimore & Brown. Jamais il n’aurait cru qu’il perdrait ce client, et encore moins au profit d’une femme beaucoup plus jeune que lui. Histoire de me rappeler qu’il était toujours mon supérieur, Tanner promenait de temps à autre sa longue silhouette jusqu’à mon bureau pour m’interroger sur les heures facturables imposées par le cabinet à ses jeunes recrues, ou pour me demander si je comptais poursuivre mes études de droit. Au fond, il me faisait de la peine. Je me sentais coupable de lui avoir pris son meilleur client. Pourtant, je n’avais pas intrigué pour en arriver là. J’avais simplement tapé dans l’œil de Forester et je profitais au maximum de cette aubaine. J’avais conscience que beaucoup d’avocats du cabinet considéraient que cette promotion ne devait rien à mon talent et tout au fait que j’étais une jeune femme. Une jeune femme aux longues boucles rousses qui n’avait pas peur de porter des talons hauts, voire très hauts, ni de boire des cocktails jusqu’à point d’heure avec Forester.
C’était peut-être vrai, mais je m’en fichais. J’adorais Forester. J’aimais son élégance, son intelligence et sa gentillesse. Il n’était pas comme ces hommes âgés qui ne cessent de vous frôler — accidentellement, bien sûr — la main… puis le haut du bras… puis le bas du dos. Non, Forester était un prince. Un prince venu me sauver du tourment de n’être qu’une esclave de plus, malgré le titre d’« avocate collaboratrice » dont on m’avait affublée pour mieux m’exploiter. Le travail dont j’avais désormais la charge n’était pas une sinécure, mais j’aimais ce sentiment de rendre de bons et loyaux services à Pickett Enterprises. La conscience de faire mon possible pour protéger au mieux les intérêts de mon client n’empêchait pourtant pas les bouffées sporadiques d’angoisse où je me mettais à douter de moi-même, à me dire que je n’étais qu’un imposteur qui n’allait pas tarder à se faire démasquer.
Afficher en entierPremier jour
— Pas question de signer ce torchon, McNeil.
— La semaine dernière, elle m’a dit qu’elle signerait.
— Elle vous a dit qu’elle envisageait de signer. Nuance.
— C’est faux.
J’ai changé le combiné d’oreille et je l’ai coincé avec mon épaule. De ma main libre, j’ai déplacé plusieurs piles de documents qui encombraient mon bureau, cherchant en vain le contrat de Jane Augustine. J’ai appuyé sur une touche de mon téléphone, celle qui envoyait quinze fois par jour des SOS pathétiques à mon assistant.
— Elle m’a dit qu’elle signerait. Point final.
— C’est du délire. Avec cette clause libératoire ridicule ? Pas question. Jamais de la vie ! Vous êtes en train de vous planter en beauté, ma jeune amie.
Une boule d’angoisse, bien trop familière, s’est aussitôt formée au creux de mon estomac. Mais j’ai fait abstraction de sa remarque pleine de condescendance. Depuis trois ans que je défendais les intérêts de Pickett Enterprises, j’avais souvent eu droit à des réflexions similaires. Bien entendu, je prétendais qu’elles ne m’atteignaient pas. Pourtant, il m’était arrivé plus d’une fois de penser : Vous avez raison. Je suis incompétente.
— Cette clause libératoire était déjà incluse dans son précédent contrat.
J’ai fini par trouver le nouveau contrat sous un tas de documents — des pièces annexes concernant les accords de coproduction —, et j’ai tourné les pages à toute vitesse jusqu’à ce que je tombe sur la clause en question.
Le visage de Quentin, mon assistant, est apparu dans l’embrasure de la porte avec une expression impatiente qui semblait dire : Quoi ?Qu’est-ce qu’il y a encore ? J’ai laissé tomber le dossier pour couvrir de la main le micro du combiné et j’ai chuchoté :
— Tu peux m’apporter l’ancien contrat de Jane ?
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