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Est-il possible que cette femme-là m'ait caressée?
J'en vois la preuve sur cette photo où elle tient ma main dans la sienne. Est-il possible que ma main ait touché sa main un jour et que j'en aie senti la chaleur? Que ses cheveux aient chatouillé ma joue et qu'en riant j'aie appelé cette femme "maman"?
Afficher en entierOh ! Une réminiscence ! Un vague, très vague souvenir d'une sensation d'enfance : les maillots tricotés main qui grattent partout lorsqu'ils sont mouillés... Ce n'est pas le plus agréable des souvenirs mais qu'importe, c'en est au moins un.
Et je suis frappée de constater encore une fois, en regardant sur ces photos les vêtements que nous portons ma mère et moi, que tout, absolument tout, à part nos chaussures et les chapeaux de paille, était fait à la maison. Jusqu'aux maillots de bain.
Que d'attention, que d'heures de travail pour me vêtir ainsi de la tête aux pieds. Que d'amour dans les mains qui prenaient mes mesures, tricotaient sans relâche. Est-ce pour me consoler d'avoir perdu tout cela, pour me rassurer que je passai des années à fabriquer mes propres vêtements, plus tard ?
Et puis qu'importe ces histoires de vêtements, de maniaquerie couturière, et qu'importe cette si vague réminiscence des maillots qui grattent, si fugitive que déjà je doute de l'avoir retrouvée un instant... Ce qui me fascine sur cette photo, m'émeut aux larmes, c'est la main de mon père sur ma jambe. La manière si tendre dont elle entoure mon genou, légère mais prête à parer toute chute, et ma petite main à moi abandonnée sur son cou. Ces deux mains, l'une qui soutient et l'autre qui se repose sur lui.
Après la photo il a dû resserrer son étreinte, m'amener à plier les genoux, j'ai dû me laisser aller contre lui, confiante, et il a dû me faire descendre du bateau en disant "hop là !", comme le font tous les pères en emportant leur enfant dans leurs bras pour sauter un obstacle.
Nous avons dû gaiement rejoindre ma mère qui rangeait l'appareil photo et marcher tous les trois sur la plage. J'ai dû vivre cela, oui...
La photo me dit qu'il faisait beau, qu'il y avait du vent dans mes cheveux, que la lumière de la côte normande devait être magnifique ce jour-là.
Et entre mes deux parents à moi, si naturellement et si complètement à moi pour quelque temps encore, j'ai dû me plaindre des coquillages qui piquent les pieds, comme le font tous les enfants ignorants de leurs richesses.
Afficher en entierIl faudrait à présent - et cette seule pensée m'arrache le coeur - qu'ils deviennent de "vrais morts qu'on n'APPELLE plus". Ils m'ont quittée, il faudrait maintenant que je les laisse partir de moi, décider que cette manière de vivre avec deux morts en filigrane entre moi et toute chose a fait son temps.
Il faudrait arrêter de se battre, faire la paix. Grandir.
Afficher en entier"Il n'est nulle douleur que le temps n'apaise."
Auteur inconnu et très certainement mort.
Dommage. J'aurais aimé
lui demander :
combien de temps ?
Afficher en entierEt puis, au bout d'un certain nombre d'années, l'évocation des morts, déjà fugitive, s'entoure de flou. Leurs caractères personnels s'estompent. On se protège, là aussi, on se garde de réveiller le regret d'une personne trop précise avec ses réactions, ses pensées, ce qu'on aimait particulièrement de lui ou d'elle.
Afficher en entierTous avaient leur charge de douleur à propos de ce fils, frère, de cette sœur ou cousine perdu et s'employaient à en parler le moins possible, sinon à y penser.
Afficher en entierEt nos propres enfants regardent parfois ces deux grandes bringues qui sont leurs mères s'abandonner sans retenue à leur crise de régression infantile - et que c'est bon, et on se roule dedans !- et ils s'arrêtent de jouer, ébahis. On sort de notre rôle, sa les gêne un peu. Généralement, les mères sont plutôt sérieuses, ou si elles sont gaies, ce n'est pas de cette manière débridée et indécente, les adultes ont une autre manière d'exprimer leur joie. Ils sentent bien qu'il se passe la quelque chose qui surpasse la simple gaieté et qui leur échappe.
<< Arrêtez! Qu'est ce qu'il vous prend ? >>
Il nous prend, chers petits qui n'êtes pas orphelins et qui jouez librement ensemble, que vos mères retrouvent ainsi une part d'enfance qui leur a échappé, et qu'elles se vengent tardivement de tous les fous rires et des complicités enfantines qu'elles n'ont pu avoir.
(...)Pourtant, nous nous appelons toujours l'une l'autre, indiférement, par le même surnom.
Il y a là de quoi faire sourire le moins fin des psychologues...
Afficher en entierMa soeur ne connaissait pas cette photo de nos parents à l'église, le jour de leur mariage.
En la découvrant, elle eu un recul devant la tristesse qu'elle dégage et me dit :
- Hooo... Qu'est ce que c'est que ça, un enterrement ?
- Non. Leur mariage.
Et on a ri, mais on a rit !!!
Afficher en entierAprès avoir si longtemps refusé de souffrir, mes défenses s'amenuisent, tombent les unes après les autres, et plus je m'ouvre plus je ressens vivace la douleur qui me vient d'EUX, même si elle attendait, tapie en moi, que je la reconnaisse pour prendre tout son pouvoir.
Afficher en entierJ'avais découvert la merveilleuse - et très classique - défense de l'humour. L'humour noir. L'humour rageur et ravageur, l'humour qui piétine joyeusement la souffrance pour lui rabattre son caquet, pour la nier. Pour la tuer. L'humour de si mauvais goût, souvent, qu'il laisse les autres pétrifiés alors que l'on se tape sur les cuisses, pliés en deux à propos d'une épouvantable plaisanterie sur les chers disparus. Jouissif. Terrible.
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