L'Enfant caché du cheikh

— Tu n’avais pas le droit de lui dire que tu étais son père, reprit-elle. — Pardon ?

Sa bouche pulpeuse ébauchait une moue butée. Elle aurait été tentante si elle n’avait pas lâché des mots si durs. Idris ne prit pas la peine de lui rappeler qu’il s’était exprimé dans sa langue maternelle et que Dawud n’avait donc pas compris. Bientôt, il parlerait arabe, se promit-il.

— J’étais dans mon droit, au contraire, répliqua-t-il en appuyant les paumes sur la table. Il a trois ans, n’est-ce pas ? Et tout ce temps tu m’as caché son existence.

— Ce n’était pas mon choix, protesta-t-elle. Tu m’as menti sur ton identité !

Idris secoua la tête.

— Je t’ai expliqué pourquoi. Je voulais éviter toute publicité, faire un break et vivre comme n’importe qui, au lieu d’être épié constamment à cause de mon sang royal. C’était mon intention de t’annoncer qui j’étais si tu avais accepté de m’accompagner à Paris.

Il avait fait cette offre étonnante parce qu’il avait été incapable de se lasser de sa maîtresse anglaise. Ses manières simples et chaleureuses, son goût de la vie, le regard fasciné qu’elle portait sur lui avaient été irrésistibles. Ce n’était pas ce regard-là qu’elle lui adressait en ce moment.

— À part cela, tout était vrai, dit-il. Tu n’avais aucune raison de me priver de mon fils.

Il serra les poings, résistant à l’envie de la toucher. Pour la secouer jusqu’à ce qu’elle lui présente des excuses ? Pour l’embrasser afin qu’elle cesse de l’invectiver comme si c’était sa faute à lui et non la sienne ?

D’un mouvement brusque, Arden posa sa serviette sur la table et repoussa sa chaise.

— Je ne t’ai pas caché Dawud !

Idris se leva d’un bond, prêt à l’empêcher de quitter la pièce. Sa patience s’amenuisait ; il était déterminé à tirer cette affaire au clair.

— Dans ce cas, pourquoi ne m’as-tu pas averti ? Qu’ai-je fait à Santorin pour que tu décides de l’élever seule ? Comment peux-tu justifier une chose pareille ?

Arden posa les mains sur ses hanches dans une attitude de défi. À travers son T-shirt blanc, les pointes de ses seins se durcirent comme de petits cailloux. D’un geste nerveux, Idris serra les poings. — Et comment étais-je censée te contacter ? lança-t-elle. Tu as pris soin de couvrir tes traces !

— Je n’ai pas…

— Ah, non ? coupa-t-elle en s’approchant, le menton levé. Je n’ai jamais su ton nom de famille, pour commencer. Le seul nom que tu m’as donné était faux. Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, j’ai contacté l’hôtel où tu disais être descendu. Ils ont refusé de confirmer que tu avais séjourné là. Ils étaient encore moins disposés à me fournir tes coordonnées, évidemment.

Idris resta interdit. Ces mesures de sécurité étaient la procédure normale pour protéger la vie privée de la famille royale. Il ne lui était pas venu à l’idée que cela empêcherait Arden de le joindre.

— Je n’avais pas pensé à cela, admit-il, piteux.

— Je veux bien le croire !

— Quand j’ai su que tu n’étais pas venue à notre rendez-vous, j’ai cru que tu voulais rompre et que cela t’arrangeait.

— Je suis arrivée en retard, je te l’ai dit. Parce qu’au dernier moment, je ne trouvais pas mon passeport pour t’accompagner à Paris.

Ses yeux brillants le défiaient de mettre sa parole en doute.

— Quand, à ton hôtel, on a refusé de m’aider, poursuivit-elle, j’ai appelé l’ambassade, ici, à Londres.

Les lèvres de la jeune femme se mirent à trembler. Tout à coup, Idris était horriblement mal à l’aise.

— Peux-tu imaginer combien c’était pénible pour moi de te chercher par la voie administrative ? Tout ce que je pouvais leur dire, c’était que tu t’appelais Shakil, que tu avais vingt-six ans, que tu avais étudié aux États-Unis et que tu portais une cicatrice sur une clavicule. Oh ! ils ont été très corrects, gentils même. Je pense qu’ils étaient désolés pour moi parce qu’ils devinaient pourquoi j’avais besoin de te joindre de toute urgence.

Ses joues viraient à l’écarlate, mais son regard braqué sur lui ne vacilla pas. Idris lisait sa blessure dans ses prunelles, en même temps que du dédain et le souvenir de la gêne qu’elle évoquait. Comment imaginer ce qu’elle avait ressenti en découvrant qu’à vingt ans, elle était enceinte d’un homme dont elle ne connaissait même pas le vrai nom ? Elle avait dû être désespérée.

La culpabilité tirailla sa conscience. Des remords plus douloureux que cette blessure à la clavicule qu’elle évoquait, souvenir d’une chute de cheval à l’âge de quatorze ans, alors qu’il s’entraînait aux techniques traditionnelles de combat. Sa douleur aujourd’hui était teintée de honte, même s’il n’avait pas trahi Arden intentionnellement.