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Se retournant, il surprit Alastair à cligner des yeux, ébloui.

— Depuis quand n’as-tu pas mis le pied dehors ? Un mois ? Davantage, à mon avis.

— Quelle importance ?

Cet échange s’étant déjà produit à neuf ou dix reprises, Michael se fâcha.

— En tant que frère, cela m’ennuie. En tant que médecin, cela me consterne. L’alcool ne vaut pas le grand air. Tu commences à ressembler à un poisson mal cuit.

Alastair le gratifia d’un mince sourire.

— Je prendrai cette remarque en considération. Pour l’heure, j’ai des affaires à régler et…

— Faux. En ce moment, c’est moi qui m’occupe de tout. Tu te contentes de boire et de ruminer.

Par cette attaque, Michael espérait provoquer une riposte. Alastair avait toujours pris très au sérieux son rôle d’aîné. Jusqu’à récemment, une telle agression l’aurait mis dans tous ses états.

Michael n’eut droit qu’à un regard vide.

Bon sang de bon sang !

— Écoute… je me fais du souci pour toi. Non. Le mois dernier, j’étais inquiet. Aujourd’hui, je suis effaré.

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Michael écarta les autres rideaux. Jamais, depuis l’époque où il n’était qu’un pion sur l’échiquier de leurs parents, il ne s’était senti aussi impuissant. Si l’affection dont souffrait son frère avait été d’ordre physique, il aurait pu la soigner. Malheureusement, il n’existait aucun remède contre la maladie de l’âme.

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Un petit malin avait un jour surnommé Alastair « le faiseur de rois ». En effet, il était doué pour la manipulation, politique ou autre. Mais si ses ennemis le voyaient maintenant, ils riraient autant de soulagement que de méchanceté. Cet homme-là paraissait incapable de se gouverner lui-même.

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Alastair posa son journal devant lui. Près de lui, se trouvaient une carafe de cognac débouchée et un verre à demi vide.

— Nom de nom ! J’avais dit à Jones que je n’étais pas là !

— Cette excuse serait plus convaincante si tu sortais de temps en temps.

Alastair semblait ne pas avoir dormi depuis une semaine. En digne fils de feu leur père, il était aussi blond que Michael était brun et avait toujours eu une tendance à l’embonpoint. Ce n’était plus le cas. À présent, son visage était émacié et des cernes violets soulignaient ses yeux injectés de sang.

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Alastair était sûrement dans son bureau, occupé à parcourir les journaux de l’après-midi. Voulait-il s’assurer qu’aucune nouvelle frasque de sa femme n’y était rapportée ou, au contraire, espérait-il en trouver – et découvrir, sans l’ombre d’un doute, un traître de plus parmi son entourage ?

Il n’apprendrait rien aujourd’hui. Michael avait déjà procédé à sa propre revue de presse.

Un flot de colère le submergea. Il n’en revenait pas d’être réduit à prendre de telles mesures – une fois de plus, après une enfance au cours de laquelle le mariage de leurs parents avait explosé lentement et publiquement, à grand renfort de gros titres qui avaient captivé la nation pendant des années. Penser du mal des défunts était contraire aux règles mais, pour une fois, il passerait outre. Allez au diable, Margaret.

Il entra sans frapper. Son frère était assis derrière l’énorme bureau près du mur du fond, la lampe à son coude animant à peine l’obscurité.

— Va-t’en, grommela-t-il sans relever la tête.

Michael ouvrit les rideaux en passant. La lumière du jour inonda le tapis oriental, révélant plusieurs boules de poussière.

— Tu pourrais au moins laisser quelqu’un faire le ménage.

Des odeurs de fumée et d’œufs rances imprégnaient l’air.

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Alastair avait commencé par se couper de ceux qu’il soupçonnait d’avoir entretenu une liaison avec son épouse. À présent, il semblait rejeter aussi ses amis politiques.

Michael se dirigea vers l’escalier.

— Mange-t-il, au moins ?

— Oui, répondit Jones derrière lui. Euh… j’ai reçu l’ordre de vous interdire l’accès à ses appartements, milord.

Première nouvelle. Qui n’avait du reste aucun sens après le billet que lui avait adressé Alastair la veille, sachant pertinemment qu’il susciterait une réaction.

— Vous avez l’intention de me jeter dehors ? s’enquit-il sans s’arrêter.

— Je ne m’en sens pas la force.

— Vous êtes un homme avisé.

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Londres, mars 1885

La maison de son frère ressemblait à une tombe. Au-delà du vestibule brillamment éclairé, les lampes étaient en veilleuse et les rideaux, fermés. Jamais on ne se serait douté qu’un soleil éclatant rayonnait sur Londres.

Michael tendit son chapeau et ses gants au majordome.

— Comment se porte-t-il aujourd’hui ?

Autrefois un modèle de discrétion, Jones, le fidèle serviteur d’Alastair, répondit sans hésiter :

— Pas bien, milord.

Michael hocha la tête et se passa la main sur le visage. Après avoir enchaîné deux interventions chirurgicales au cours de la matinée, il était épuisé et empestait le désinfectant.

— Des visites ?

— Oui, milord.

Jones se détourna pour aller chercher le plateau en argent posé sur la console. Le miroir au-dessus était toujours recouvert de crêpe noir. On aurait dû le retirer depuis longtemps, l’épouse d’Alastair étant décédée plus de sept mois auparavant. Hélas, les révélations scandaleuses s’étaient succédé au fil des semaines. Infidélité, mensonges, addictions, chacune de ces découvertes avait transformé le chagrin du veuf en une disposition d’esprit des plus inquiétantes.

Michael passa les cartes de visite en revue, notant les noms au fur et à mesure. Son frère refusait de recevoir qui que ce soit, mais ignorer ces marques de politesse ne servirait qu’à alimenter les rumeurs. Michael en était arrivé à emprunter le carrosse ducal et l’un des valets de pied d’Alastair, puis, discrétion oblige, à patienter au coin de la rue afin de déposer un bristol en retour. Il s’en serait amusé si la situation n’avait été aussi grave.

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Michael eut la sensation qu'une lance brûlante venait de lui transpercer la poitrine - ou son amour-propre. Il marqua une pause, la main sur la poignée de la porte, et prit une brève inspiration. Il avait toujours détesté cette pièce. C'était là que leur père s'était senti le plus à l'aise. Le seigneur du château. Le despote impitoyable.

- Je ne suis pas ton pantin. Je ne me plierai pas à tes ordres. Pour ton bien, Alastair, autant que pour le mien.

Sur ce, il sortit, et claqua la porte derrière lui. Le bruit déclencha une douleur dans sa poitrine, une meurtrissure qui se répandit partout en lui.

Il n'avait pas menti. Pour le bien de son frère, il quitterait Londres. Il resterait au loin jusqu'à ce qu'Alastair sorte enfin de cette fichue demeure pour le retrouver.

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