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En ce soir d’octobre 837, les eaux noires de l’estuaire au confluent de la Test et de l’Itchen clapotaient doucement. La lune n’était pas encore levée et un reste de clarté traînait à l’Occident. Le paisible port de Hamwick - si on pouvait appeler ainsi un assemblage de méchantes masures en terre - s’endormait sur les berges sablonneuses. Au-delà s’étendait une lande et, plus loin, une forêt dense de hêtres et de frênes à l’orée de laquelle se dressait la silhouette massive du couvent de Greefane. Un moulin le flanquait à droite et, sur la gauche, s’étendaient quelques champs cultivés.
Les habitants de Hamwick, pour la plupart des pêcheurs, étaient couchés. La nuit tombait tôt en automne et l’éclairage coûtait cher. Ils ne virent pas surgir de l’horizon des formes sombres, bien différentes des petites barques qui remontaient habituellement l’estuaire. Une fois les bateaux - en tout, une quinzaine - assez près de la rive, leurs occupants amenèrent les voiles. Ils sautèrent à l’eau et, à l’aide de gaffes de bois, échouèrent les coques étroites et effilées dont les longues proues se paraient de dragons menaçants.
La clameur sauvage qui avait accompagné leur débarquement alerta les villageois. Certains sortirent des maisons tandis que d’autres se terraient prudemment à l’intérieur. Les premiers, apercevant sur la plage des ombres gigantesques, prirent leurs jambes à leur cou et s’enfuirent vers la forêt. L’un d’eux, plus téméraire, demeura assez longtemps pour entendre une voix jeune s’exprimer dans un langage inconnu.
— Les Saxons sont des couards, père, je le savais bien. Voyez comme ils déguerpissent en abandonnant leurs biens derrière eux !
Le propriétaire de la voix s’adressait à un gaillard de plus de six pieds de haut qui devait peser dans les deux cent cinquante livres. Ce dernier répliqua :
— Ne te fie pas aux apparences, Sigvard ! Les Saxons sont de fiers guerriers, rien à voir avec ceux-ci. Si tu n’avais pas été encore qu’un enfant en maillot lors de mon premier voyage, tu le saurais.
Le pêcheur décampa sans attendre la suite de la conversation, qu’il n’aurait d’ailleurs pas comprise.
— J’ai hâte de les affronter, déclara Sigvard, le portrait craché de son père, en plus svelte.
— Patience, fils. Nous ne sommes pas encore prêts.
— J’espère que Knut tiendra sa promesse.
— Il la tiendra, j’en suis sûr. Au moment de son embarquement à Ribe, nous étions convenus de nous retrouver sur cette plage. Il ne devrait plus tarder.
Sigvard n’avait pas écouté la fin de la phrase. L’édifice que l’ombre n’avait pas encore englouti retenait toute son attention.
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