Extraits

Faites ce que vous voulez maintenant, moi j’ai des choses à faire. Je ne peux pas vous materner toute la journée. »

Il finit par planter ses yeux dans les miens.

« Mais souviens-toi, Cass, pas d’exploration dans le château. »

Je lève la main gauche.

— Croix de bois, croix de fer. Si je mens…

« … t’auras affaire au frère.  

Camille se retourne vers moi et me lance un regard agacé :

— Cassiopée, dis à ta bestiole de se calmer, elle est en train de mettre en rogne tous les chiens du village.

Il se met à faire de grands gestes vers la meute en criant des « Oust, oust ! » et j’en profite pour lancer mentalement un : Dégagez, fissa.

Tous les chiens cessent de grogner et disparaissent dans les ruelles adjacentes. Camille s’arrête net, étonné d’avoir été obéi aussi promptement. Isha se met à rire, son petit rire sarcastique et agaçant qu’il me réserve habituellement.

— Dis donc, Camille, quelle autorité ! Tu peux essayer ça sur moi, s’il te plaît ? J’ai des problèmes avec l’obéissance.

— La ferme.

— Flûte, ça ne marche pas. 

Un vague plan se dessine dans ma tête et je m’y accroche désespérément, convaincue que c’est mon ticket de sortie :

1) Je retrouve Gabriel.

2) Je tue Gabriel et jure de ne plus jamais lui pardonner.

3) Je pardonne à Gabriel.

4) Je trouve mon père, nous avons une petite conversation père-fille tournant autour du thème « Qu’est-ce que tu as derrière la tête et que me veux-tu exactement ? »

5) Je dis bye-bye aux Myrmes, Narques, Kamkals et toute la clique et vais m’installer dans un endroit désertique du genre désert de Gobie ou Antarctique avec Gabriel, en priant bien sûr pour que celui-ci soit d’accord et que les pingouins et/ou chameaux soient des voisins agréables.

6) Nous eûmes beaucoup d’enfants et vécûmes heureux pour toujours.

Ça serait bien.

Bon de là à arriver au 6) … si je passe la première étape, ça sera déjà pas mal. 

— Mouais. Mon petit doigt me dit que tu ne me dis pas tout.

— Ouais, ben ton petit doigt est un indic’ pourri, tu ferais mieux de le virer et de choisir un autre de tes illustres doigts. 

— Henry ? Henry, est-ce que tu m’entends ?

Comme il ne réagit pas, je le secoue un peu. Peut-être Leo y est-il allé un peu fort, sans le faire exprès...

— Henry ! Tu ne peux pas me faire ce coup-là, hein ? Tu n’as pas le droit de rester dans le coma ! Qu’est-ce que je vais dire à ta fille, moi ? Je te préviens, si tu crois que je vais te maintenir en vie par voie artificielle, tu te mets le doigt dans l’œil mon gros ! Alors, réveille-toi avant que je ne t’incinère vivant !

Les plaintes derrière moi ont soudainement cessé.

Je me retourne et découvre Beatrice, la tête d’un Leo inconscient sur les genoux, qui me regarde fixement, interloquée.

Je lui souris d’un air contrit.

— Ah, les progrès de la médecine ! On n’y croyait pas encore la veille, mais il s’avère qu’il a été prouvé que menacer un patient dans le coma est très productif et amène l’homme à réagir. C’est fascinant, n’est-ce pas ?

Pour faire bonne mesure, je me retourne vers Henry et prends une voix revêche :

— Si tu ne te réveilles pas, je te jure que je vends Tina aux Narques !

J’ai à peine le temps de terminer ma phrase que Henry ouvre les yeux et cligne plusieurs fois des paupières, l’air paumé.

Je me redresse d’un coup, surprise, et porte une main à ma bouche, en proie à l’étonnement le plus total :

— Mince alors, ça marche en plus ! murmuré-je, abasourdie.

Beatrice plisse les yeux et détourne le regard, à nouveau concentrée sur son fils.

Henry me fixe avec des yeux ronds :

— Qu’est-ce que tu viens de me dire ? Est-ce que tu viendrais de me menacer de…

Je mets ma main devant sa bouche pour l’interrompre :

— Chut. La médecine est une science exacte et je t’interdis de critiquer mes méthodes scientifiques. 

Je reviens à moi alors que Henry me fait de grands gestes silencieux.

Je l’observe un moment, fascinée par ce langage mystérieux et sa signification tout aussi inconnue, jusqu’à ce qu’il lève les yeux au ciel et vienne carrément me tirer par le bras pour m’entraîner à l’extérieur.

— Viens ici, me siffle-t-il à l’oreille.

Je hausse les épaules. Je lui réponds à voix basse, de peur de réveiller la mère éplorée, même si normalement maintenant nous sommes hors de portée auditive.

— Ce n’est pas de ma faute si t’es nul en langage gestuel, mon pauvre ami.

Il se met à marmonner dans sa barbe et je ne peux m’empêcher de sourire.

— Je vais t’en donner du langage gestuel, moi, tu m’en diras des nouvelles.

Je mets une main sur la bouche.

— Oh ! Quelle grossièreté ! 

Il serre ma main à la broyer, ne cesse de me jeter des regards anxieux, comme s'il avait encore peine à croire que je me tiens à ses côtés, comme s'il avait peur que je me volatilise avec le vent, emportée par une bourrasque et disparue à jamais. Ses yeux bleu océan me scannent, me dévorent, m'aspirent tout entière et je me sens tomber profondément dans ces abysses, emportée dans un tourbillon d'émotions et d'amour. Comment est-ce possible de ressentir cela pour quelqu'un ?

Il me manque tellement, c'est atroce. Son absence est partout : dans la maison que je devrais partager avec lui, sur ce ponton avec moi, pour observer la beauté du paysage, lorsque je suis en danger, pour qu'il me protège et me rassure. Dans mes bras, pour que je puisse le serrer contre mon cœur et sentir son odeur. Ce manque, je ne peux pas y échapper, m'aperçois-je. Il me suit partout et est plus dur à supporter chaque seconde.

C'est grâce à elle que je suis libre.

Comme le vent, ma belle, comme le vent.

Avoir comme géniteur la réincarnation de Dark Vador ne doit de toute façon pas être de tout repos. Je ne peux pas m'attendre à aller faire le tour des fêtes foraines avec lui, en mangeant des barbes à papa.