Extraits

Christian Jaegli, planté au milieu de l'arrière-salle du restaurant, raide comme un piquet, fixe sans ciller la scène de crime.

La victime est nue, allongée sur le sol carrelé avec les mains attachées dans le dos au moyen de colliers de serrage en plastique qui ont entamé les chairs. Une mare d’un sang sombre et épais s’étale autour de lui ; le contraste avec le carrelage blanc rend le tableau d’autant plus percutant.

Il est tard et les rues sont calmes, enveloppées dans des masses compactes d’ombres voraces quand Tassin ferme le restaurant. Il se contente de tirer la grille pour signifier que c’est fini pour ce soir, se sert un whisky et fait les comptes du chiffre d’affaires journalier. Tranquillement, il comptabilise le contenu du tiroir-caisse — le cash, les chèques et les tickets des paiements par carte — pour comparer avec le rouleau du jour.

Les nerfs à fleur de peau, Abdel Hamid tourne en rond dans la cave comme un fauve en cage, son Glock 31 au bout du bras. Appuyé contre le mur du fond, son frère semble plus calme, mais ce n’est qu’une apparence ; comme une cocotte-minute sur le feu, il est sous pression.

Un silence lourd règne dans l’habitacle de la voiture porteuse.

Ourida a les yeux fixés sur l’autoroute. Ses longs cheveux noirs tirés en arrière par un élastique dégagent son visage figé par la concentration. Peu importe qu’ils aient passé la frontière depuis longtemps et soient bientôt arrivés, elle ne s’autorise pas le moindre relâchement ni aucune diminution de son attention.

Malgré sa nervosité, Kabuki demeure attentive et concentrée. Dans son appartement, un silence total lui permet de préparer son esprit en cas d’imprévu à gérer.

Depuis maintenant presque une heure et demie, dans une cave sinistre et humide, perdue dans les entrailles dédaléennes du quartier du Neuhof, Abdel Hamid reçoit un par un tous les binômes chargés de la vente au détail. Il affecte ses dealers sur toutes les soirées des environs. La pile de flyers promouvant chacun un événement local diminue progressivement alors qu’il y envoie ses hommes.

Debout devant les autres membres de l’Hydre, Kabuki doit présenter aujourd’hui la suite de sa stratégie d’attaque contre le gang du Neuhof. La première phase a été accomplie avec succès, lui donnant les informations nécessaires à l’élaboration de la suite des actions à mener. En sa qualité de stratège, son avis sera parole d’évangile, mais tout échec inenvisageable.

Ce soir, c’est avec une boule d’angoisse au creux du ventre qu’Akemi Arimura, alias Kabuki, se prépare à se rendre à la réunion des dirigeants de Borderline. Nommé « l’Hydre », ce groupe très fermé, secte au sein de la secte, est composé de l’élite de Borderline. Les sept têtes de la bête.

Malik Rafik et Stéphanie Müller, entièrement nus, fument une cigarette sur le lit défait. L’homme a la peau qui perle encore de sueur, le souffle court. Elle garde les yeux au plafond, d’un calme presque anormal après le moment intense qu’ils viennent de passer.

Alignés debout, au centre de la pièce, Firtz, K. et Monkey, têtes basses et bras dans le dos, ont l’air d’écoliers convoqués dans le bureau du directeur. Dans un silence de mort, Naja leur sert son regard reptilien en faisant les cent pas face à eux. Son visage sec et son crâne rasé à blanc laissent apparaître ses maxillaires en mouvement, les veines saillantes de ses tempes et les plis de colère sur son front.