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Prologue
La cour empeste les animaux, le fumier et les excréments humains. Je ne peux m’empêcher de penser à l’odeur de la putréfaction, car au-delà de la puanteur et du soleil se couchant dans un ciel plombé, la mort se fait sentir, bien présente comme une tache indélébile. Mon frère n’est pas le premier à mourir ici et il ne sera pas le dernier.
Je frotte mon nez avec mon bras crasseux, puis mes yeux, car ma vision est trouble et m’empêche de voir correctement. Puis je les ferme et je me pelotonne contre le parapet. J’aimerais être à mille lieues de là, mais quelle aide pourrais-je alors apporter à Conal ? De toute façon, je ne peux ignorer le poids monstrueux de l’arbalète dans mes bras. Je déteste les arbalètes, je les ai toujours détestées : une arme affreuse, brutale et tuant à distance. Je n’ai jamais supporté de les toucher, ni même de les regarder. C’est comme si j’étais né avec la sensation d’avoir rendez-vous avec l’une d’entre elles : un rendez-vous auquel je ne voudrais pas me rendre.
Je renifle et frotte à nouveau mes yeux : j’aimerais me conduire en homme, j’aimerais ne pas être si effrayé. J’ai seize ans. Un âge tout à fait suffisant pour tuer ou pour mourir. Bien plus vieux que lorsque j’ai vu mourir mon père, presque découpé en morceaux et luttant pour trouver un dernier souffle. Sa mort était inévitable, de même que celle-ci. Pourquoi ce chagrin prématuré ?
J’écarquille les yeux. Un cliquetis semblable aux vibrations de roues sur le dallage se fait entendre, et je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule. Je suis bien placé, mais facilement repérable si je veux tirer, et il faudrait que je fasse vite pour descendre des tours et m’enfuir. Je ne peux pas y penser, pas maintenant. La foule, jusqu’alors muette, ne grommelant qu’avec l’excitation du jour, se fait désormais entendre à l’unisson, se transformant, comme par magie noire, en une bête mugissante. Je m’oblige à regarder, le souffle coupé.
Ce n’est pas mon frère. Ce ne peut pas être lui. Ce n’est pas Cù Chaorach, le Chien de berger, père de son clan. Il n’a jamais été aussi chétif. Son visage est ensanglanté et à moitié noirci. Ses cheveux ont été tondus grossièrement. Sa chemise est toute déchirée et effilochée et, à travers les accrocs du lin, je vois des traces de coups de fouet dans son dos ensanglanté.
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