Les Charbonniers de la mort

«Sauveur regardait ça, la lippe pendante, et sa découverte le bouleversait tellement qu'il ne réalisa pas tout de suite qu'au bord du gouffre, ce panier et ce couteau n'étaient pas les seuls témoignages de ce qui s'était passé ici. Quand il s'en avisa, il se plaqua la main sur la bouche.

- Oh! pute de mort!

Juste derrière le panier, à l'extrême bord de l'aven, une croix était plantée parmi les fougères. C'était une croix pour rire, faite de deux ramilles de verne et liée au croisement par deux brins d'herbe, comme si c'eût été un autre enfant qui l'eût confectionnée. Cette croix fit reculer Sauveur. Il comprit que si le petit charbonnier était tombé dans le gouffre, il n'y était pas tombé seul. Il jeta de tous côtés des regards de traqué. On ne sait jamais, dans Lure, quand on est seul.

C'est dans ce mouvement de peur qu'il aperçut un peu plus loin quelque chose qui le fit loucher et qui atténua un peu sa panique pour quelques instants. Il vérifia de nouveau qu'il était bien seul et plongea sur ce qu'il venait de dénicher et qu'il enfouit dans sa poche avec un geste de voleur.

Mais ce geste n'était qu'un réflexe. En réalité, il ne savait plus où pendre la lumière. La découverte qu'il venait de faire lui coupait les jambes. Il était trop tard, il était trop loin pour crier au secours. Le mieux était de redescendre et de s'arrêter au planton.

Il s'apprêtait à recharger son cageot à l'épaule lorsqu'un bruit bizarre qui sourdait de l'aven interrompit son geste. Il se figea en l'entendant.

C'était une sorte de point d'orgue qui allait s'amplifiant comme un bourdon d'abeilles.

Et soudain il vibra à l'air libre dans l'accompagnement furieux d'un vol de corbeaux dont le bouquet noir jaillissait de terre. Ils éclataient au soleil dans le ciel de la clairière en un vol onctueux comme s'ils avaient baigné dans l'huile. Certains tenaient dans leurs serres d'innommables lambeaux. Et, sitôt qu'ils avaient surgi du sol, une odeur insoutenable était montée avec eux.»