Les Chevaliers des Ténèbres, Tome 3 : Les Amants de l'Ombre

Prologue

Il avait enfreint la loi.

A présent, il devait payer le prix.

C’était aussi simple que ça. Max avait ôté la vie d’un être humain. Ses raisons n’avaient aucune importance.

Il gara sa Harley Davidson devant la salle d’entraînement de l’aile ouest du ranch du Jaguar et coupa le moteur. Il était prêt à assumer les conséquences de ses actes. Son regard se porta vers les abords boisés de la propriété, s’arrêtant à peine sur la maison. C’était le refuge des Chevaliers Blancs. Il avait un moment cru y avoir trouvé sa place, lui aussi. Il avait eu tort.

Max descendit de moto et se dirigea vers l’entrée de la salle. Ses bottes crissaient sur les graviers du chemin. Il avait beau se répéter que son action avait permis de sauver la vie d’une femme, il se sentait nerveux. Il ne s’agissait pas de n’importe quelle femme, en plus : c’était la compagne d’un des Chevaliers. Une femme qui avait lavé la souillure de la Bête chez cet homme.

Il n’en restait pas moins qu’il avait violé une promesse sacrée en ôtant la vie à un humain. Il allait devoir payer pour cela. Max le savait parfaitement et l’acceptait, ce qui ne l’empêcha pas d’éprouver une certaine appréhension en pénétrant dans la salle climatisée.

La porte se referma lourdement derrière lui, comme un présage de mauvais augure. A vrai dire, il ne s’attendaitpas à la moindre indulgence. Il savait qu’il risquait de sombrer dans les ténèbres à tout instant. Quatre siècles passés à combattre la souillure de son âme l’avaient épuisé.

Max se concentra sur le sol matelassé sur lequel il marchait, sans prendre garde aux armes alignées aux murs, qui servaient à combattre les Bêtes des ténèbres. Les néons du plafond n’étaient pas allumés, mais des bougies scintillaient à chaque coin de la pièce.

Max s’approcha des deux hommes qui l’attendaient au centre de la salle. Il était impressionné, car ces derniers représentaient tous deux des figures d’autorité pour lui. Par bien des façons, ils se ressemblaient : longs cheveux noirs, corps puissants de guerrier, mais surtout une force intérieure presque palpable.

Max adressa d’abord un bref hochement de tête à Jag, le capitaine des Chevaliers Blancs. Vêtu d’un jean et d’un T-shirt, comme Max lui-même, Jag dissimulait son profil de tueur de démons sous les apparences anodines d’un propriétaire de ranch.

Bien que Max soit plus vieux de quelques siècles, il respectait Jag, car celui-ci avait apporté l’espoir aux Chevaliers. Même à Max. Jag avait été le premier à trouver une compagne, prouvant ainsi qu’une femme pouvait dompter la Bête qui vivait en eux tous. Il avait remplacé l’ancien capitaine que Max avait connu autrefois et qui s’était rendu aux ténèbres, s’était détourné des Chevaliers Blancs pour devenir une Bête lui-même. Un capitaine qui avait forcé ses hommes à se terrer.

Max ne s’attarda cependant pas longtemps sur Jag. Son regard se tourna rapidement vers le personnage vêtu de blanc qui se tenait à son côté. Salvador. L’homme qui les avait tous créés et qui pouvait mettre un terme à leur existence d’un simple geste de la main.

Max soutint sans ciller le regard vert émeraude de son créateur. S’il devait être déchu ce jour-là, alors il accepterait son sort avec bravoure.

La tête haute.

Il sentit ces yeux verts le transpercer, comme s’ils fouillaient en lui pour atteindre les profondeurs de son âme et ne laisser aucun recoin dans l’ombre. Peut-être ce regard suffisait-il à exposer la vérité nue : les ténèbres grandissaient en lui. Il était si proche du gouffre qu’il sentait presque le goût du Mal sur ses lèvres chaque fois qu’il respirait.

De longues secondes s’écoulèrent avant que Salvador ne parle.

– Laisse-nous, veux-tu ? demanda-t–il doucement à Jag.

Celui-ci sembla hésiter.

– Sans l’aide de Max, nous aurions perdu Jessica, rappela-t–il. Et sans Jessica, je suis certain que Dess aurait laissé sa Bête prendre le dessus.

Max sentit son cœur se serrer en entendant son capitaine le défendre ainsi. Il était seul depuis si longtemps. Il commençait à peine à se sentir chez lui au ranch que déjà il devait tout remettre en question. Cela ne changeait pourtant rien : il devait affronter les conséquences de ses actes. Max savait pertinemment qu’il ne pouvait revenir en arrière pour changer le cours de choses. Les bras croisés sur la poitrine, il se redressa devant Salvador.

– Je suis prêt à assumer les conséquences de mes actes.

En passant près de lui, Jag lui posa la main sur l’épaule.

– La paix soit avec toi, mon ami, dit-il simplement, avant de sortir.

Max doutait qu’il trouve un jour la paix. Le silence pesant qui s’était installé entre Salvador et lui ne laissait rien présager de bon. Son imagination s’emballait,envisageant tous les châtiments possibles. La porte de la salle se referma sur Jag.

– Depuis combien de temps es-tu Chevalier ? demanda alors Salvador, qui connaissait pourtant la réponse.

– Trois cent soixante et onze ans.

– Tu as affronté beaucoup de dangers dans ce laps de temps. Tu as fait des choix difficiles.

– Oui, c’est vrai.

– Tu es sorti victorieux de combats contre les ténèbres, quand d’autres auraient échoué. Tu t’es dévoué corps et âme à la protection de l’humanité.

– Oui.

– Pourtant, tu as choisi de prendre la vie d’un humain. Pourquoi ?

Max ferma les yeux.

Il avait redouté cet instant, car ce qu’il allait devoir avouer était haïssable. Il se força à rouvrir les yeux pour regarder Salvador.

– Je me souviens que l’humain en question s’est jeté sur Jessica avec un poignard. J’ai tenté de la sauver, mais j’ai vu la lame pénétrer dans sa chair. J’ai bondi sur l’homme… Ensuite, je ne me souviens plus de rien jusqu’à ce que l’homme soit à terre. Mort.

Salvador le regarda longuement.

– Tu ne sais donc pas ce qui t’a poussé à le tuer ? Ni même si cela aurait pu être évité ?

– Non, dit-il, la gorge sèche. Mais je ne vous mentirai pas. J’ai ressenti une immense colère. Et les ténèbres… Je me suis laissé emporter par mes sentiments.

Salvador fit un geste et une épée apparut dans sa main droite.

– A genoux, mon fils.